Enjeux historiques et politiques

C’est en 1534 que Jacques Cartier débarque sur les terres du Québec actuel où il prend possession des territoires au nom de la Couronne française. Depuis ce moment-là, le Québec a du vivre une longue – et parfois dure – histoire qui a marqué le pays, ses habitants, sa littérature et sa culture.

 

montreal (c) Peter Mertz

 

Dans un premier voyage, Jacques Cartier explore le golfe du fleuve Saint-Laurent pour découvrir, en 1535, la bourgade iroquoienne Hochelaga sur le terrain de la future ville de Montréal, qui sera fondée en 1642 par Paul de Chomedey de Maisonneuve. Lors de la Conquête britannique, la défaite des Français à Québec sur les plaines d'Abraham devient l’événement décisif, scellant le destin non seulement de la ville de Montréal qui capitule sans combat (1760), mais aussi celui des colonies françaises en Amérique du Nord. 1759 marque la fin de la Nouvelle-France et, du coup, le début du Régime anglais. Les possessions françaises passent entre les mains des Britanniques (Traité de Paris, 1763), les marchands britanniques prennent le contrôle du commerce de la ville de Montréal.

Afin de prévenir une insurrection dans la colonie, le régime britannique s’est vu contraint, par la suite, d'adopter plusieurs actes constitutionnels, dont l’Acte de Québec (1774), qui abolit le serment de fidélité au roi et au chef de l'Église anglicane et installa le droit civil français, et l'Acte constitutionnel (1791), qui divisait la province de Québec en deux colonies, le Bas-Canada majoritairement francophone et le Haut-Canada à l'ouest. Après la Révolte des Patriotes en 1837, l'Acte d'Union (1840) réunit de nouveau les deux colonies, avec l'anglais comme seule langue officielle et le but d'assimiler le plus rapidement possible la population francophone. Puis, en 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (aujourd’hui nommé la Loi Constitutionnelle de 1867) est voté. Le nouveau dominion du Canada est né, un État fédéral réunissant trois colonies britanniques, le Canada-Uni (le Haut-Canada ou Ontario, et le Bas-Canada ou Québec), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse –, dans lequel les provinces – dont le Québec – gardent des compétences dans le domaine de l'éducation et dans certains autres domaines qui ne relèvent pas du fédéral. Ainsi les deux groupes linguistiques, les anglophones et les francophones, sont à l’origine du Canada d’aujourd’hui et continuent de se considérer comme les peuples fondateurs du pays. Cette perception d’avoir été l'un des deux peuples fondateurs jouera par la suite un rôle important dans les revendications québécoises des années 1960 ainsi que dans le mouvement souverainiste en général.

Ce mouvement souverainiste s'inscrit dans la soi-disant « Révolution tranquille » qui devait transformer la province conservatrice, cléricalisée et agricole du Québec en un pays des plus modernes. En prenant conscience des enjeux d'une identité francophone, voire québécoise, la province se modernisait. Parmi les partis politiques, ce fut le Parti québécois, fondé en 1969 et dirigé par René Lévesque jusqu'en 1985, qui l'emporta, même si le premier référendum d'indépendance de 1980 – tout comme le deuxième en 1995 – fut un échec.

La vie culturelle de l'époque, et notamment la littérature, furent marquées par le débat identitaire, par les idées socialistes et les revendications nationalistes. La 'Poésie du pays' vit le jours, la chanson de contestation fleurissait, le joual gagnait du terrain même au niveau du texte écrit. Gaston Miron, Jacques Brault, Paul Chamberland, Michèle Lalonde, Michel Garneau et Gérald Godin furent célébrés comme les 'grandes voix' du pays, et la littérature désormais 'québécoise' se fit le miroir de moments particulièrement difficiles comme la crise d'Octobre de 1970.

Aujourd’hui, le Canada est une monarchie constitutionnelle à régime parlementaire, se définissant comme une nation bilingue et multiculturelle. À statut égal, le français et l'anglais présentent les langues officielles. Le Québec, la seule province fort majoritairement francophone et dont la seule langue officielle est le français, se bat toujours pour être considéré comme une 'société distincte', tout en ouvrant ses portes aux immigrants venus des quatre coins du monde.

sources:
Linteau, Paul-André: Histoire de Montréal depuis la Confédération. Montréal, Boréal, 2000.
Plourde, Michel et al. (éds.) : Le français du Québec. 400 ans d'histoire et de vie. Montréal, Fides, 2003.
Tétu de Labsade, Françoise : Le Québec : un pays, une culture. Montréal/Paris, Boréal/Seuil, 1990.
Site Web Acte de Québec. http://www.micheline.ca/doc-1774-quebec-acte.htm(consulté le 12 août 2010).
Site Web Gouvernement du Canada. http://atlas.nrcan.gc.ca/site/francais/maps/historical/exploration/exploration/sl/1/maptext_view(consulté le 8 août 2010).
Site Web Histoire de la Constitution. http://www1.canadiana.org/citm/themes/constitution/constitution13_f.html (consulté le 12 août 2010).
Site Web La littérature québécoise. http://www1.canadiana.org/citm/themes/constitution/constitution13_f.html (consulté le 14 août 2010).

Texte d'introduction: Sabrina Öztas

 


 

Brault, Jacques - Suite fraternelle - La mémoire du frère tombé et l’identité québécoise

Chamberland, Paul - L'afficheur hurle - Le porte-parole d’un peuple menacé de perdition qui se cherche

Champagne/Messier/Rafie/Caron - Cabaret neiges noires - La FLQ et son manifeste

Fréchette, Louis-Honoré - Première nuit - Créer un mythe fondateur

Gurik, Robert - Hamlet, prince du Québec - Charles de Gaulle et la Révolution tranquille

Loranger, Françoise - Medium Saignant - La politique linguistique à Montréal

Loranger, Françoise - Medium Saignant - Le problème de l’immigration

MacLennan, John Hugh - Two Solitudes - Les fameuses Deux Solitudes

MacLennan, John Hugh - Two Solitudes - La dichotomie anglophone-francophone

MacLennan, John Hugh - Two Solitudes - Deux sollicitudes

Noël, Francine - Maryse - La crise d’Octobre

Segura, Mauricio - Côte-des-Nègres - Côte-des-Neiges à l’époque

Urbina, José Leandro - Collect Call - Efforts indépendantistes

Villemaire, Yolande - Ange amazone - La fondation de Ville-Marie dans la perspective d’un grand chef

 


 

Jacques Brault, « Suite fraternelle ».

Dans : Mailhot, Laurent /Nepveu, Pierre (éds.) : La poésie québécoise. Des origines à nos jours. Sillery/Québec, Presses de l’Université de Québec, 1981.

 

La mémoire du frère tombé et l’identité québécoise

 

« Suite fraternelle » est un long poème de plus de 200 vers publié pour la première fois en 1965, dans le recueil Mémoire. Jacques Brault y dresse un monument à son frère Gilles tombé pour son pays pendant la Seconde Guerre mondiale. L’achèvement de ce poème impressionnant qui noue une expérience personnelle avec des réflexions à propos de la condition des Québécois, lui a pris une vingtaine d’années.1 Le drame personnel est au fond de l’intensité de l’émotion et des expressions virulentes qu’il choisit pour questionner l’identité collective des Québécois. Un malaise face à ce pays qu’il aime, mais qu’il aimerait du même élan renier parce qu’il le sent responsable de la mort de son frère, s’installe dès les premières phrases. La problématique du déracinement profond des Québécois surgit de pleine violence et on y trouve l’image récurrente d’un manque d'histoire collective. Montréal, la ville natale du poète, est une des scènes de la quête identitaire. Le Québec comme pays privé d’une identité bien définie hante l’imaginaire du poème en intermittence avec les rappels du destin du décédé qui n’y appartient plus. Vers la fin du texte, les réflexions prennent un ton plus confiant. Le poète réussit à dénommer le pays et de célébrer sa beauté par le biais de considérer la mort de son frère comme un événement qui contribue à l’émergence d’une identité et il conjure « l’heure où personne ne va mourir ». Le poème se termine par l’annonce d’une renaissance symbolique de Gilles dans l’enfant de la femme du poète. La réconciliation finale parachève le tableau dont l’élan principal est une colère orageuse.

sources:
1Cf. Lessard, Jean Louis : Littérature québécoise. http://www.litterature-quebecoise.org/R-tran/brault.htm (consulté le 27.6.2010).

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Markus Ludescher

 

Extrait de texte

 

Suite fraternelle

Ubi bene, ibi patria.
En réalité. la patrie est aussi là où l'on est très mal.
Ilya Ehrenbourg

Je me souviens de toi Gilles mon frère oublié dans la terre de Sicile
je me souviens d'un matin d'été à Montréal
je suivais ton cercueil vide j'avais dix ans
je ne savais pas encore

Ils disent que tu es mort pour l'Honneur
ils disent et flattent leur bedaine flasque
ils disent que tu es mort pour la Paix
ils disent et sucent leur cigare long comme un fusil

Maintenant je sais que tu es mort avec une petite bête froide dans la gorge
avec une sale peur aux tripes
j'entends toujours tes vingt ans qui plient dans les herbes crissantes de juillet

Et nous
nous demeurons pareils à nous-mêmes rauques
comme la rengaine de nos misères

Nous
les bâtards sans nom
les déracinés d'aucune terre
les boutonneux sans âge
les clochards nantis
les demi-révoltés confortables

Gilles
mon frère cadet par la mort
ô Gilles dont le sang épouse la poussière

Suaires et sueurs nous sommes délavés de grésil et de peur
La petitesse nous habille de gourmandises flottantes

Nous

Les croisés criards du Nord

nous qui râlons de fièvre blanche sous la tente de la
Transfiguration
nos amours ombreuses ne font jamais que des orphelins
nous sommes dans notre corps comme dans un hôtel
nous murmurons une laurentie pleine de cormorans châtrés
nous léchons le silence d'une papille rêche
et les bottes du remords

Nous
les seuls nègres aux belles certitudes blanches

- ô caravelles et grands appareillages des enfants-messies

nous les sauvages cravatés
nous attendons depuis trois siècles pêle-mêle

la revanche de l'histoire

la fée de l'Occident

la fonte des glaciers

Je n'oublie pas Gilles et j'ai encore dans mes mots la

cassure par où tu coulas un jour de fleurs et de ferraille

Non ne reviens pas Gilles en ce village perdu dans les

neiges de la Terre Promise

Ne reviens pas en ce pays où les eaux de la tendresse

tournent vite en glace

Où circule toujours la jongleuse qui hérissait ton enfance
Il n'y a pas d'espace ici pour tes gestes rassembleurs de

vérités sauvages

Tu es de là-bas maintenant tu es étranger à ton peuple
Dors Gilles dors tout ton sommeil d'homme retourné au

ventre de l'oubli

À nous les mensonges et l'asphalte quotidienne
À nous la peur pauvresse que farfouille le goinfre du ridicule
Pirates de nos désirs nous longeons la côte de quelque

Labrador fabuleux

Loin très loin de ta Sicile brûlante et plus loin encore de

nos plus secrètes brûlures

Et voici que tu meurs Gilles éparpillé au fond d'un trou
mêlé aux morceaux "de tes camarades Gilles toujours violenté
dans ton pays Gilles sans cesse tourmenté dans ton
peuple comme un idiot de village

Et perdure la patrie comme l'amour du père haï

Pays de pâleur suspecte pays de rage rentrée pays bourré
d'ouate et de silence pays de faces tordues et tendues sur
des mains osseuses comme une peau d'éventail délicate et
morte, pays hérissé d'arêtes et de lois coupantes pays bourrelé
de ventres coupables pays d'attente lisse et froide
comme le verglas sur le dos de la plaine pays de mort anonyme
pays d'horreur grassouillette pays de cigales de cristaux
de briques d'épinettes de grêle de fourrure de fièvre
de torpeur pays qui s'ennuie du peau-rouge illimité

Cloaques et marais puants où nous coltinons le mauvais sort
Oh le Livre le Livre où c'était écrit que nous grugerions

le pain dur que nous lamperions l'eau moqueuse

Rare parchemin grimoire éculé hiéroglyphe savantasse

écriture spermatique obscène virgule tu nous

fascines tu nous façonnes

Quel destin mes bêtes quelle destinée la rose aux bois

et le prince qui n'y était pas

Muets hébétés nous rendons l'âme comme d'autres rendent

la monnaie

Nos cadavres paisibles et proprets font de jolies bornes

sur la route de l'histoire

Gravissons la montagne mes agneaux et renouons avec le

bois fruste nous sommes d'une race de bûcherons

et de crucifiés

Oui mère oui on l'a brûlé ton fils on a brûlé mon frère

comme brûle ce pays en des braises plus ardentes

que toutes les Siciles

oui on nous a marqués au front d'une brûlure qui

sent mauvais quand rougeoient les soirs de mai

Et nous brûlons nous brûlons bénits et multicolores et

rentables comme un étalage de lampions

Il n'a pas de nom ce pays que j'affirme et renie au long

de mes jours

mon pays scalpé de sa jeunesse
mon pays né dans l'orphelinat de la neige
mon pays sans maisons ni légendes où bercer ses enfançons
mon pays s'invente des ballades et s'endort l'œil tourné

vers des amours étrangères

Je te reconnais bien sur les bords du fleuve superbe où se

noient mes haines maigrelettes
des Deux-Montagnes aux Trois-Pistoles

mais je t'ai fouillé en vain de l'Atlantique à l'Outaouais

de l'Ungava aux Appalaches

je n'ai pas trouvé ton nom
je n'ai rencontré que de fatigue innommable qui traînent

la nuit entre le port et la montagne rue Sainte-Catherine la mal fardée

Je n'ai qu'un nom à la bouche et c'est ton nom Gilles
ton nom sur une croix de bois quelque part en Sicile
c'est le nom de mon pays un matricule un chiffre de misère

une petite mort sans importance un cheveu sur
une page d'histoire

Emperlé des embruns de la peur tu grelottes en cette

Amérique trop vaste comme un pensionnat comme
un musée de bonnes intentions

Mais tu es nôtre tu es notre sang tu es la patrie et qu'importe

l'usure des mots

Tu es beau mon pays tu es vrai avec ta chevelure de

fougères et ce grand bras d'eau qui enlace la solitude
des îles

Tu es sauvage et net de silex et de soleil
Tu sais mourir tout nu dans ton orgueil d'orignal roulé

dans les poudreries aux longs cris de sorcières

Tu n'es pas mort en vain Gilles et tu persistes en nos saisons

remueuses

Et nous aussi nous persistons comme le rire des vagues au

fond de chaque anse pleureuse

Paix sur mon pays recommencé dans nos nuits bruissantes

d'enfants

Le matin va venir il va venir comme la tiédeur soudaine

d'avril et son parfum de lait bouilli

Il fait lumière dans ta mort Gilles il fait lumière dans

ma fraternelle souvenance

La mort n'est qu'une petite fille à soulever de terre je

la porte dans mes bras comme le pays nous porte Gilles

Voici l'heure où le temps feutre ses pas
Voici l'heure où personne ne va mourir
Sous la crue de l'aube une main à la taille fine des ajoncs
Il paraît
Sanglant
Et plus nu que le bœuf écorché
Le soleil de la toundra
Il regarde le blanc corps ovale des mares sous la neige
Et de son œil mesure le pays à pétrir

Ô glaise des hommes et de la terre comme une seule pâte qui

lève et craquelle

Lorsque l'amande tiédit au creux de la main et songeuse en

sa pâte se replie

Lorsque le museau des pierres s'enfouit plus profond dans

le ventre de la terre

Lorsque la rivière étire ses membres dans le lit de la savane
Et frileuse écoute le biceps des glaces étreindre le pays

sauvage

Voici qu'un peuple apprend à se mettre debout
Debout et tourné vers la magie du pôle debout entre

trois océans

Debout face aux chacals de l'histoire face aux pygmées de

la peur

Un peuple aux genoux cagneux aux mains noueuses tant

il a rampé dans la honte

Un peuple ivre de vents et de femmes s'essaie à sa

nouveauté

L'herbe pousse sur ta tombe Gilles et le sable remue
Et la mer n'est pas loin qui répond au ressac de ta mort
Tu vis en nous et plus sûrement qu'en toi seul
Là où tu es nous serons tu nous ouvres le chemin

Je crois Gilles je crois que tu vas renaître tu es mes
camarades au point dur à la paume douce tu es notre
secrète naissance au bonheur de nous-mêmes tu es l'enfant
que je modèle dans l'amour de ma femme tu es la promesse
qui gonfle les collines de mon pays ma femme ma
patrie étendue au flanc de l'Amérique

La poésie québécoise. Des origines à nos jours, p. 428 - 433 .

 

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Paul Chamberland, « L'afficheur hurle ».

Dans : Terre Québec suivi de l’afficheur hurle, de l’inavouable et d’autres poèmes. Montréal, L’Hexagone, 1985.

 

Le porte-parole d’un peuple menacé de perdition qui se cherche

 

Avec son recueil Terre Québec publié en 1964, Paul Chamberland apporte une contribution essentielle à la rhétorique dominante de l’époque qui permet que la parole poétique s’installe au cœur du combat pour la nation québécoise. Poète engagé et même militant dans ses premiers temps, il élabore dans ces textes un discours ouvertement politique inspiré par la pensée libératrice et indépendantiste qui s’oriente dès lors vers l’action.

« L'afficheur hurle » a été écrit dans cet esprit, mais il témoigne de surcroît d’une attention délicate pour les petits détails qui constituent le réel. Le « je » lyrique incarne le poète québécois qui questionne son identité et se bute à des faits indéniables témoignant de l’histoire d’un peuple infériorisé. Ceci est sa vérité, celle qui devient son motif de rébellion. Le besoin de justifier ce combat et la peur d’un peuple de se noyer, inécouté, dans la marée anglophone nord-américaine qui est au fond de ce cri montrent bien l’acuité de la blessure et la nécessité d’exprimer ce que ressentaient les intellectuels de l’époque.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Markus Ludescher

Extrait de texte

 

L'afficheur hurle

 

avons-nous besoin de pratiquer ici le long raisonné dérèglement

de tous les sens       ne sommes-nous pas les sombres voyants de
la vie absente

dans la ruelle Saint-Christophe
dans la ruelle vérité
est-ce la vie qui fait claquer
son grand pas d'ombre et de démente

le dur petit soleil qui cogne contre les tôles des hangars des

taudis a le visage crispé de mon aujourd'hui

qu'il me regarde oui qu'il me toise et me transperce je rends

le son brisant et sec des broussailles d'arrière-saison je
suis novembre courbé sous le talon de la bise

dans la ruelle Saint-Christophe est-ce ma vie que je dispute

aux poubelles au pavé la vie que je prends en chasse
ai-je fait d'un haut-le-cœur ma vérité

ma vérité       celle que ne réfute aucun diplôme pas même le

diplôme doré du poème       ma vérité de crânes en friches
et de latentes sauvageries ma vérité d'arrière-grands-parents
leur profonde et superbe ignorance leurs fronts butés
l'ancestrale ténèbre affleurant à l'orage folie de mes mots

la vérité vous saisissez je n'y comprends rien pas un traître mot

et je m'en balance       elle me fait mal comme le regard oblique
et jaune du clochard

le sombre soleil qui me tue sonne quelle heure au monde

quelqu'un s'est tu       est-ce ma vie est-ce mon sang quelqu'un
s'est tu au fond de la ruelle est-ce la fin de ce mal gris qui
est ma vie

l'heure qu'il sonne en ma cervelle a l'odeur blanche des suicidés

et le long rictus des façades presse ses lèvres sur mon cri

je dégouline contre terre je rends l'eau sale de mes ans je rends

ma vie comme une question mal posée comme un souhait
mal entendu que le refus fige en grimace

la pluie d'octobre en mes cheveux effacera ma tête je n'aurai

plus que cette forme de pavé mal déchaussé qui s'émiette
sous la dent des neiges

à ceux qui t'accuseront d'emboucher les trompettes patriotiques

tu répondras qu'un pays de mauvais aloi est ton mal et ta
mort

est-ce ma faute à moi si je souffre d'une terre à naître
d'une terre occupée
d'un mal qui est le bien des autres
d'une mort qui nourrit la vie des autres
oui je sais       les vraies blessures ont la noble démesure d'un vin

malheureux elles sont belles elles émeuvent et nos blessures
sont grises muettes elles sonnent faux

est-ce ma faute à moi si nous mourons de vivre à demi si notre

malheur est la demi-vérité de notre confort

nous n'aurons même pas l'épitaphe des décapités des morts de

faim des massacrés nous n'aurons été qu'une page blanche
de l'histoire

même chanter notre malheur est faux       d'où lui tirer un nom

une musique

qui entendra nos pas étouffés dans l'ornière américaine où nous

précède et déjà nous efface la mort terrible et bariolée des
peaux-rouges

en la ruelle Saint-Christophe s'achève un peuple jamais né une

histoire à dormir debout un conte qui finit par le début

il était une fois ... et nous n'aurons su dire que le balbutiement

gêné d'un malheureux qui ne sait nommer son mal

et qui s'en va comme un mauvais plaisant honteux de sa souffrance

comme d'un mensonge

dans la ruelle Saint-Christophe
dans la ruelle vérité
est-ce la mort qui fait claquer
son grand pas d'ombre et de démente

Terre Québec suivi de l’afficheur hurle, de l’inavouable et d’autres poèmes, p. 107 - 109.

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Dominic Champagne/ Jean-Frédéric Messier/ Pascale Rafie/ Jean-François Caron, Cabaret neiges noires.

Montréal, vlb Éditeurs, 1994.

 

La FLQ et son manifeste

 

Cabaret neiges noires est une œuvre collective des dramaturges Dominic Champagne, Jean-Frédéric Messier, Pascale Rafie et Jean-François Caron. Chacun des quatre auteurs avait d’abord rédigé de courtes pièces satiriques avec la neige noire comme sujet principal. Après quelques mois, ils ont commencé à réunir ces pièces en créant des liens entre les personnages, les lieux, etc. Ce travail de synthèse s’est effectué avec l’aide d’un groupe d’acteurs qui ont beaucoup contribué à la version finale avec leurs improvisations. Toutefois, les passages entre les scènes ne sont qu’esquissés et les changements de lieux et de personnages sont nombreux. Cela correspond à l’intention des auteurs de créer une sorte de cirque ou de cabaret où les numéros se succèdent.

Cabaret neiges noires parle de la vie à Montréal et de la société québécoise moderne. Les auteurs décrivent la désillusion de leur génération, leur désespoir et leur dépression qui sont symbolisés par la neige noire tombant sur la ville pendant la nuit. La structure est marquée par de multiples sauts entre les lieux et les dialogues ou monologues des personnages. Cette incohérence dans la structure est accompagnée de l'abstraction et même de la futilité des paroles. Cette futilité de la pièce représente la futilité qui règne dans nos vies et nous empêche de voir les choses importantes, nos semblables et leur misère, etc. La pièce est donc une critique de la société intolérante et insensible et d'une vie sans but.

Pendant les années 1960, l’organisation terroriste Front de libération du Québec (FLQ) a commis plus de 200 attentats violents. Les membres revendiquaient une révolution dans le sens des objectifs socialistes et la souveraineté du Québec. L’extrait reprend le manifeste du FLQ publié trois jours après l’enlèvement du commissaire commercial britannique dans lequel le FLQ articule ses exigences. Cet incident ainsi que la prise en otage du ministre du Travail du Québec, qui s’est terminé par son assassinat, ont mené à la Crise d’Octobre, laquelle a secoué la ville de Montréal et le Québec tout entier. Le personnage JeanJean lit des extraits du manifeste et révèle, à travers ses commentaires, que ce texte qui s’oppose à la discrimination des francophones représente lui-même une discrimination. Le manifeste du FLQ lui sert de modèle pour critiquer l’intolérance au sein de la communauté multiculturelle montréalaise.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Katharina Pöllmann

Extrait de texte

 

Alcools 3

 

(Manifeste)

 

Pendant que le public est à boire et que l’en-
tracte se prolonge, JeanJean monte sur scène,
s’empare en catimini d’une feuille cachée sur la
chaise de La Vielle Dame et se dirige vers le mi-
cro en lisant.

JEANJEAN

« Manifeste du Front de libération du Québec »
Sacrement !
Déjà
Juste le nom
Hein ?
Juste le nom :
« Manifeste ! »
Hein ?
Premièrement :
Tabernak que c’est prétentieux
Deuxièmement :
Y a pus personne qui écrit ça, des manifestes
C’est niaiseux
Pis anyway même si y a quelqu’un qui en écrivait
Qui c’est qui les lirait ?
Personne
Ça intéresse pus personne
Pis après ça :
« Front de libération »
Heille non mais
Faut avoir du front tout le tour de la tête
Pour dire des affaires de même
Parce que franchement
Libération libération
Que c’est que ça veut dire ça, libération ?
Y a un journal à Paris
Qui s’appelle Libération
Pis ?
Le monde y s’en crisse-tu, tu penses ?
Ben oui
Y se sentent-tu plus libres pour autant ?
Ben non

C’est pas fini
Ça continue cette histoire-là :
« Le Front de libération du Québec
n’est pas la messie… »
Que d’humilité
Arrêtez
J’étouffe
« Ni un Robin des Bois des temps modernes »
Non
Daniel Boone peut-être
Heille

Il fouille dans sa poche et en sort un intermina-
ble tas de vieux papiers

Heille
Vous êtes pas tannés vous autres
De vous remplir les poches
Jusqu’à prochaine poubelle
Ou ben marcher sur la pointe des pieds
De peur de maganer notre pauvre petite étoile
Ou ben cacher vos beaux yeux parce que le soleil
Le soleil
C’t’un autre affaire ça le soleil
Toute façon moi pis le soleil
On se voit pus
Je sais qu’i est aussi chaud que moi
Mais on est comme deux chums qui se parlent pus
Non mais on s’en crisse-tu
Le monde est rendu
Irressusceptiblement
Irressuscitablement
Irrecyclable
Ben si le monde est mort
Le monde est mort pis on n’en parle pus
Le recyclage
On s’en crisse-tu
bon le FLQ astheure
« Le FLQ est un regroupement
De travailleurs québécois qui sont décidés
À tout mettre en œuvre
Pour que le peuple du Québec
Prenne définitivement en main son destin… »
Ah ici je me permettrai une petite correction :
Je dirais les peuples du Québec
C’est-à-dire
Les Français, les Anglais, les Vietnamiens,
Les Grecs, les Portugais, les Jamaïcains,
Les Pakistanais, les Libanais, les Mowhaks,
Les Iroquois, les Hurons, les Juifs de New York
En station-wagon la fin de semaine
Les Haïtiens chauffeurs de taxi
Ça fait plusieurs mains sur le même destin
Si vous voulez mon avis
Y risque de pogner des microbes
Ce pauvre petit destin-là
« Nous vivons dans une société
D’esclaves terrorisés… »
Terrorisés par quoi justement sinon
Par notre propre faiblesse devant tout
Ce qui est différent
Qui parle pas la même langue
Qui a pas la même couleur
Terrorisés d’émettre une opinion
Qu’on n’a pas lue avant dans les journaux
Terrorisés par une idée avec laquelle
Personne est d’accord
Terrorisés de dire qu’est-ce qu’on est
Pis qu’est-ce qu’on veut
Terrorisés de pas comprendre
En tout cas…
« Notre lutte ne peut être que victorieuse… »
C’est beau la confiance.
« On ne tient pas longtemps dans la misère
Et le mépris un peuple en réveil… »
Ben non…
Moi je prédis qu’on en a encore pour… wof…
À peu près quatre mille ans…
Pis dans quatre mille ans si y a encore quelqu’un
Sur la planète
Y va-tu s’en crisser tu penses ?
Ben oui
Y va-tu l’savoir qui c’est que j’ai été, moi ?
Ben non
Le savez-vous qui j’suis, vous autres ?
Vous allez ben finir par le savoir
Pis ça c’est moi qui vous le dis.

Il sort.

jfm – jfc

Cabaret neiges noires, p. .

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Louis-Honoré Fréchette, « Première nuit ».

Dans : Beausoleil, Claude (éd.) : Montréal est une ville de poèmes vous savez. Montréal, L’Hexagone, 1992.

 

Créer un mythe fondateur

 

Pour éprouver la fascination que les premières heures de Montréal ont en tout temps exercée sur ses écrivains, il n’y a pas de meilleure façon que d’écouter ses poètes des siècles passés. Louis-Honoré Fréchette en fournit un bel exemple dans lequel il retrace les exploits des figures emblématiques associées à la naissance de la ville. Dans Première nuit, il chante la fondation du futur Montréal en stylisant l’acte fondateur et en le transformant en moment quasiment magique.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Markus Ludescher

 

Extrait de texte

 

C'était le désert fauve en sa splendeur austère.
Rien n'animait encor le vierge coin de terre
Où Montréal devait plus tard dresser ses tours.
En aval du courant, et suivant les détours
Qui creusent çà et là les rives ombragées,
Sous les feux du midi, trois pirogues chargées
- Près de l'endroit nommé depuis Pied-du-Courant -
Ensemble remontaient les eaux du Saint-Laurent.

Qui côtoyait ainsi les courbes du grand fleuve?
C'était le fondateur, c'était de Maisonneuve,
Avec de Montmagny, le courageux soldat,
Vimont, l'apôtre saint, fier d'un double mandat,
Et, comme pour dorer cette ère qui commence,
Deux femmes, deux grands cœurs: de la Peltrie et Mance.
Deux âmes à l'affût de tous les dévouements.

Ils sont accompagnés de laboureurs normands,
De matelots bretons, fiers enfants de la Gaule
Travailleurs qui devront, le mousquet à l'épaule,
Le poing à la charrue ou la hache à la main
S'ouvrir au nouveau monde un si large chemin.

Sur le calme des eaux une voix nous arrive.
C'est un cantique saint qu'aux échos de la rive,
Dans l'éclat radieux d'un soleil flamboyant,
La petite flottille envoie en pagayant.
- Halte! a crié quelqu'un.

Et bientôt, sur la berge,
Avec le dôme bleu du ciel nu pour auberge,
Nos voyageurs rendus dressent leur campement.
Puis, ensemble, à genoux, dans le recueillement,
Rappelant au Très-Haut sa divine promesse,
Naïfs ou fiers chrétiens vont entendre la messe,
Au pied d'un tabernacle à la hâte élevé.

- Vous êtes, dit le prêtre, un grain de sénevé
Que Dieu jette aujourd'hui dans la glèbe féconde;
La plante qui va naître étonnera le monde;
Car, ne l'oubliez pas, nous sommes en ce lieu
Les instruments choisis du grand œuvre de Dieu!

Et pendant que l'hostie en sa châsse sacrée
Illuminait l'autel de sa blancheur nacrée,
Un long Pange Lingua s'élevait dans les airs
Vers le Dieu des cités et le Dieu des déserts.
Auprès du drapeau blanc, la sainte Eucharistie
Resta là tout le jour. La tête appesantie,
- Quand le soleil sombra dans le Couchant vermeil-,
Nos pieux voyageurs, accablés de sommeil,
Songeaient, prière faite, à chercher sous la tente,
Dans une nuit de paix douce et réconfortante,
Le repos bien gagné qui doit les prémunir
Contre le lourd fardeau des tâches à venir;

Quand, tout à coup, dans l'ombre éparse des ramées,
Ils virent mille essaims de mouches enflammées,
Qui, croisant à l'envi leur radieux essor,
Comme un jaillissement de gouttelettes d'or,
Ou plutôt comme un flot de flammèches vivantes,
Rayaient l'obscurité de leurs lueurs mouvantes.

Alors chacun se met en chasse; l'on poursuit
Tous ces points lumineux voltigeant dans la nuit;
Puis, liant à des fils les blondes lucioles,
On en fait des réseaux, flottantes auréoles,
Qu'on suspend sur l'autel en festons étoilés.

Quelques instants plus tard, dans les bivouacs voilés
Par les grands pins versant leurs ombres fraternelles,
Après avoir partout placé des sentinelles,
Près du fleuve roulant son flot silencieux,
La troupe s'endormit sous le regard des cieux.

Et pendant que ces forts, âpres à la corvée,
Voyaient dans leur sommeil grandir l'œuvre rêvée,
Astre pieux trônant dans le calme du soir,
Sur l'autel, dans un pli du drapeau, l'ostensoir,
Au vol phosphorescent d'étincelles sans nombre,
Ouvrait son nimbe d'or et flamboyait dans l'ombre.

Ô genèse sublime! ô spectacle idéal!
Ce fut cette nuit-là que naquit Montréal.

Montréal est une ville de poèmes vous savez, p. 34s.

 

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Robert Gurik, Hamlet, prince du Québec.

Montréal, Leméac, 1977.

 

Charles de Gaulle et la Révolution tranquille

 

Hamlet, prince du Québec est l’une des nombreuses pièces engagées et nationalistes qu’a écrites Robert Gurik pendant la Révolution tranquille. Bien que leur forme varie (satire, fable politique, science-fiction, etc.), le sujet principal - les valeurs de la Révolution – reste le même. Hamlet, prince du Québec est une allégorie politique ayant comme base la célèbre pièce de Shakespeare. Le choix de cette œuvre de Shakespeare est, bien avant toute interprétation ou analyse de la pièce, déjà un signal très fort : d’un côté, Gurik se détourne de la domination culturelle de la France, de l’autre côté, Hamlet raconte l’histoire d’un combat contre la domination d’un usurpateur.

Dans la version de Gurik, Hamlet devient donc une allégorie de l’histoire du Québec et de ses tentatives de se détacher surtout des anglophones, mais également de l’influence de l’ancien pouvoir colonial, la France. Les personnages de même que la plus grande partie de l’histoire restent les mêmes, mais ils sont truffés de nombreuses allusions à la situation québécoise. Ainsi, chaque personnage reçoit un pendant québécois ou canadien : le roi et usurpateur représente l’anglophonie, la reine représente l’Église et Hamlet représente le Québec ; Laertes est Pierre-Elliott Trudeau, Horatio est René Lévesque, Ophelia est Jean Lesage, Polonius est Lester Pearson, etc. Mise à part la personnification du Québec, de l’anglophonie et de l’Église, les autres personnages représentent tous de « vrais » acteurs de la politique fédérale ou provinciale.

Une des scènes centrales de Hamlet est l’apparition du spectre, donc du père mort de Hamlet. Dans la version de Gurik, le spectre est Charles de Gaulle, le Président français de l'époque. Son apparition fait allusion à la visite officielle de ce dernier en 1967 et à son discours mémorable prononcé sur le balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal. De Gaulle avait terminé ce discours par les mots « Vive le Québec libre », un slogan très controversé : les souverainistes et partisans du mouvement nationaliste québécois l’ont accueilli avec beaucoup d’enthousiasme tandis que les fédéralistes québécois et les acteurs au niveau fédéral ont été indignés du fait que de Gaulle ait pris parti pour les nationalistes dans ce conflit.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Katharina Pöllmann

 

Extrait de texte

 

ACTE I

SCÈNE III

ENTRÉE D’HORATIO.

HORATIO (René Lévesque)
Salut à votre Altesse.

HAMLET (Québec)
Quel bon vent t’amène, Horatio, voilà une éternité que je ne t’ai rencontré ?

[…]

HORATIO (René Lévesque)
Monseigneur !...

HAMLET (Québec)
Qu’y a-t-il Horatio ?

HORATIO (René Lévesque)
Je l’ai vu.

HAMLET (Québec)
Qui donc ?

HORATIO (René Lévesque)
Le roi, votre père.

HAMLET (Québec)
Le roi, mon père ?

HORATIO (René Lévesque)
Contrôlez votre surprise un moment et chassez de votre esprit l’idée que je suis fou, car j’ai pour appuyer mon témoignage un camarade qui l’a vu comme je vous vois.

HAMLET (Québec)
Mais, pour l’amour du ciel, parle.

HORATIO (René Lévesque)
Deux nuits de suite, l’officier du Rhin qui est de garde au milieu de la nuit a vu ceci : une ombre ressemblant à votre père en armes apparaît devant lui et, d’un pas auguste et grave, passe lentement et par trois fois devant lui. Il est resté là, tremblant, laissant perler la sueur le long de ses vertèbres, figé par l’épouvante, sans dire un mot. Il me fait en secret la terrible confidence de ce qu’il a vu et, la nuit suivante, je me joins à lui. Durant très longtemps rien et je m’apprêtais à abandonner… mais à minuit, et dans les mêmes circonstances qu’il m’a relatées, apparaît la vision… J’ai vu votre père !

HAMLET (Québec)
Mais en quel lieu ?

HORATIO (René Lévesque)
En haut sur la terrasse dite « Le balcon ».

HAMLET (Québec)
Lui avez-vous parlé ?

HORATIO (René Lèvesque)
Oui, Seigneur, je lui ai parlé, mais il ne m’a pas répondu. Il semblait absent comme quelqu’un qui a trop tardé, ou encore a-t-il feint de nous ignorer pour s’adresser seulement à ceux à qui il destine ses paroles. A peine ai-je eu le temps de me remettre de ma surprise qu’il avait disparu.

HAMLET (Québec)
Cela est étrange.

HORATIO (René Lévesque)
Mais c’est aussi vrai que je vis.

HAMLET (Québec)
Ami, cette nuit je serai avec vous.

HORATIO (René Lévesque)
Je suis sûr qu’il viendra.

[…]

SCÈNE V

[…]

Sous l’esplanade dite « Le balcon », Hamlet, Horatio et l’officier du Rhin sont en scène. […]

On voit en haut une projection ou un film du général de Gaulle (tel qu’il est apparu à Montréal au balcon de l’Hôtel de ville). Un acteur peut aussi jouer le rôle.

HAMLET (Québec), laissant échapper sous le coup de l’étonnement
Mon père… (Il se reprend :) Qui es-tu ? Parle ! Que tu sois un esprit bienfaisant ou un monstre infernal, que tes dessins soient vils ou charitables, tu te présentes à nous sous une apparence si douce à mon cœur que je veux te parler et t’entendre. Oh réponds-moi, épargne mon cœur rongé par l’impatience. Dis-moi pourquoi tes vénérables ossements enfouis dans la terre ont déchiré leur enveloppe funèbre. Pourquoi la tombe où nous t’avons conduit a soulevé le poids des masses de marbre pour te rejeter à la vie. Quelle peut être la raison de ce phénomène que toi, de nouveau revêtu de tes habits de combat, tu reviennes dans ce pays que tu as abandonné ?

[…]

LE SPECTRE (Charles de Gaulle)
Je suis l’âme de ton père condamnée à errer la nuit et à brûler le jour pour purifier les fautes qui ont souillé ma vie. Longtemps je t’ai négligé. (Geste d’Hamlet.) Non, ne proteste pas, je le sais. Je t’ai délaissé alors que tu avais le plus besoin de moi. Les soucis de ma charge ne sont pas une excuse suffisantes. J’ai été un mauvais père, tu as grandi orphelin et aujourd’hui encore je me présente à toi le visage rougi par les flammes et la honte, aujourd’hui encore je viens la main tendue, car j’ai bien peu à t’offrir et je te l’offrirai bien tard. Mais tu es ma chair et mon sang et si jamais tu aimais ton pauvre père, ce vieillard rongé par l’orgueil…

HAMLET (Québec)
Oh ! ciel.

LE SPECTRE (Charles de Gaulle)
… venge un meurtre horrible.

HAMLET (Québec)
Un meurtre !

LE SPECTRE (Charles de Gaulle)
Le plus horrible commis depuis les jours d’Abraham, alors que la plaine elle-même a perdu son sang.

HAMLET (Québec)
Instruis-moi sur-le-champ, afin que je puisse courir à ma vengeance.

LE SPECTRE (Charles de Gaulle)
C’est un bruit répandu que dormant dans mon verger, la bouche ouverte comme à mon habitude, un fruit est tombé et a provoqué l’étouffement. Tout le pays est amusé par cette fable. Mais apprends, toi mon fils, que cet arbre qui portait ce fruit funèbre porte aujourd’hui ma couronne.

HAMLET (Québec)
Mon oncle ! Oh ! pressentiment…

LE SPECTRE (Charles de Gaulle)
Oui, ce monstre adultère qui a su gagner à sa passion le cœur de ma reine chérie, dont toutes les apparences témoignaient de la vertu. Mais ne ranimons pas les plaies à jamais ouvertes, je sens l’air du matin, il me faut faire vite. Endormi dans mon jardin après le dîner, ton oncle muni d’une orange me surprit dans mon sommeil et força le fruit dans ma bouche jusqu’à l’étouffement. C’est ainsi que je fus en dormant dépouillé, par la main d’un frère de la vie, de la couronne et de mon épouse, et relevé du monde sans les grâces du ciel, sans les derniers secours de la religion pour mes péchés flagrants, sans les prières implorées par les cloches des mourants et envoyées devant le juge suprême avec toutes mes fautes accumulées sur la tête. Hamlet ne laisse pas la couche royale devenir celle de la luxure et d’un inceste maudit. Ne laisse pas le Québec pourrir sous la botte de ce profiteur qui pourrait te laisser croire qu’il te comprend et qu’il t’aime. Mais, par quelques moyens que tu te décides d’agir, ne souille point ton cœur et que ton âme ne trame rien contre ta mère. Abandonne-la au ciel. Adieu, le matin va se lever, adieu et souviens-toi que vive un Québec libre.

Hamlet, prince du Québec, p. .

 

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Françoise Loranger, Medium saignant.

Ottawa, Leméac, 1970.

 

La politique linguistique à Montréal

 

Françoise Loranger, une auteure et dramaturge québécoise, est connue pour des textes dramatiques souvent portés à l’écran et bien accueillis à l’étranger. Sa pièce Medium saignant, à la fois contestataire et politique, a provoqué de nombreuses controverses en raison de ses références fréquentes aux événements historiques et politiques du Québec tels que la loi 63, signé en 1969 afin de promouvoir la langue française au Québec.1 Médium saignant décrit la situation de la province du Québec ou, plus précisément, de la municipalité de Montréal. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, un peuple majoritairement francophone se voit affronté à une minorité anglophone qui met en péril l’existence de la langue française. La pièce représente diverses positions lors d’un débat houleux et passionné entre francophones et anglophones, entre conseillers municipaux et contribuables ainsi qu’entre jeunes et d'adultes du microcosme de Montréal. Révélant des statistiques sur l’état de la langue, le drame fait ressortir le problème linguistique, les conséquences de l’immigration ainsi que le pour et le contre de l’unilinguisme anglais. Finalement les francophones se rendent compte qu’ils se trouvent en plein milieu d’une lutte identitaire.

Ce sont les revendications de la Révolution tranquille et surtout la question sur le choix de la langue qui jouent un rôle important dans l'extrait qui suit. C’est lors d’une assemblée municipale au Centre Culturel que les protagonistes francophones s’engagent pour la promotion du français et contre l’unilinguisme anglais. Ouellette, par contre, un conseiller municipal « pourvu de tous les attributs de la prospérité financière », favorise l'unilinguisme anglais en présentant une proclamation aux conseillers qui devrait les convaincre qu'à Montréal parler anglais n'est pas seulement nécessaire mais indispensable.

sources:
1Cf. L’île: L’infocentre littéraire des écrivains québécois sur www.litterature.org (consulté le 24 août 2010).

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Sabrina Öztas

 

Extrait de texte

 

OUELLETTE, aux conseillers - Lisez ça! Et si vous êtes pas convaincus après l'avoir lu, que pour réussir

au Québec, il faut être unilingue anglais, c'est que vous méritez de mourir le derrière sur la paille !

(Les conseillers se mettent à lire le texte. Les voix qui suivent doivent être impersonnelles et froides et devraient être enregistrées au préalable. Silence et immobilité totale sur la scène.)

VOIX I- Au Québec, le salaire du Canadien-Français occupe le douzième rang sur quatorze.

VOIX II- Au Québec, le Canadien-Français gagne 1775 dollars de moins que le Canadien-Anglais.

VOIX I- Au Québec, le revenu moyen du Canadien-Français est de 35% inférieur à celui du Canadien-

Anglais.

VOIX II - Au Québec, le Canadien-Anglais gagne 40% de plus que les autres.

VOIX I - Le Québec est la seule province où un Canadien-Anglais gagne plus cher qu'un Canadien-Anglais

bilingue.

VOIX II - Cette tendance s'est accentuée depuis 30 ans. Elle s'accentuera dans l'avenir.

VOIX I - Au Canada, les Canadiens-Français sont plus nombreux que la moyenne dans les emplois

inférieurs ...

VOIX II - Et moins nombreux que la moyenne dans les postes supérieurs.

VOIX I - Cette tendance s'est accentuée depuis 30 ans. Elle s'accentuera dans l'avenir.

VOIX II - C'est au Québec et surtout à Montréal que les Canadiens-Français sont les plus défavorisés par

rapport aux Canadiens Anglais.

VOIX I - Cette tendance s'est accentuée depuis 30 ans. Elle s'accentuera dans l'avenir.

(Tout le monde a l'air atterré, excepté Ouellette.)

(…)

OUELLETTE, avec rancœur - Moi, je l'avais pas oublié ! C'est à partir de ce moment-là que j'ai décidé

d'envoyer mes enfants à l'école anglaise (Coup de poing sur la table.) Je me suis dit : « Fini de rêver, tit gars ! Tu vois où ça t'a mené le nationalisme pis le beau parler français de tes ancêtres ? A être le dernier sur la liste de paie ! C'est t'y ça que tu veux pour tes enfants ? » (Aux conseillers.) C'est t'y ça que vous voulez pour les vôtres ?

OLIVIER, aux conseillers - Ce qu'il faut surtout retenir, c'est qu'on a rien à perdre !

(Désignant l'article.)

Medium saignant, p. 84 - 85.

 

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Françoise Loranger, Medium saignant.

Ottawa, Leméac, 1970.

 

Le problème de l’immigration

 

L’extrait suivant aborde le problème central de l’immigration. Lors d’une assemblée du conseil municipal de Montréal, les membres de la communauté italophone interviennent afin de justifier pourquoi ils ont opté pour l'anglais comme langue seconde. Anna et son mari Tonio, des immigrants italiens, s’adressent au maire en lui expliquant, de leur point de vue, la situation linguistique à Montréal et au Québec. Au début, ils pensaient arriver dans un pays anglophone parce que ni le consulat, ni le service d’immigration ne leur avait dit qu’on parlait français à Montréal. Finalement, même le maire et Ouellette, un conseiller municipal qui avait d'abord favorisé l’unilinguisme anglais, se rendent compte de la situation problématique et de la menace qui plane sur le français.

sources:
1Cf. L’île: L’infocentre littéraire des écrivains québécois sur www.litterature.org (consulté le 24 août 2010).

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Sabrina Öztas

 

Extrait de texte

 

ANNA, (…) - Monsieur le Maire, nous sommes des milliers dans cette ville qui avons choisi votre pays

parmi tous les pays du monde pour en faire notre patrie (...) Des milliers qui sont partis de tous les coins de l'Europe, pour venir vivre dans le beau Canada ...

OLIVIER, froidement - Dans ce coin particulier qui s'appelle le Québec.

ANNA, perdant pied - Oui. Dans la belle province!

OLIVIER - Française ! ... La seule province française du Canada ...

ANNA, s'emportant - Santa Madona, nous ne savions même pas que cette province était française ! (…) Et

nous étions très contents ! Oui, oui, très contents! Et mon mari a aussitôt commencé à apprendre le français. Mais pas pour longtemps, parce que tout le monde, il nous a dit qu'on ne pouvait pas gagner sa vie en français à Montréal. Les Québécois eux-mêmes, ils l'ont prévenu!

(Tonio s'approche et s'adresse à la salle.)

TONIO, suppliant - Don't you see ? That's the trouble, don't you see?

ANNA - Qu'est-ce que vous auriez fait à sa place ?

(Malaise des conseillers. Léger temps.)

ANNA - L'année suivante, nous avons envoyé nos enfants à l'école anglaise ...

TONIO, à la salle - Do you see the point'? That's the way it is for us !

(Malaise plus accentué des conseillers.)

OLIVIER - Vous êtes, ici depuis combien de temps, Madame ?

ANNA - Depuis quinze ans ...

TONIO, ton de supplique - I can't earn a living in French !

LOUIS, se levant - Moi non plus, je ne peux pas gagner ma vie en français !

MAIRE - Silence, s'il vous plaît!

OLIVIER - Mais depuis quinze ans, Madame, vous avez bien dû voir que les Québécois commençaient à

en avoir assez de cet état de chose ? Il y a même eu des bombes qui ont éclaté à cause de ça ...

ANNA, inquiète - Je sais, je sais ...

(...)

TONIO - You understand, don't you ? I cannot earn a living in French !

LOUIS - Dans mon propre pays, je peux pas gagner ma vie en français !

(...)

OLIVIER - Votre seule présence ici a contribué à changer l'ordre des choses !

LANCTOT - Vous rendez-vous compte au moins qu'en ajoutant votre nombre à ceux des anglo-saxons,

vous aggravez le problème ?

OLIVIER - Ils ne sont pas responsables.

LANGELIER - Pas responsables, quand on est menacé de disparaître à cause d'eux ?

OUELLETTE - A cause de nous, de notre inertie. C'était à nous d'empêcher ça !

OLIVIER - On leur a menti, elle vient de nous le dire. Ils ont simplement pris la situation telle qu'elle était.

ANNA - Qu'est-ce que nous pouvions faire d'autre, puisque vous-mêmes vous êtes obligés de parler

anglais ?

OUELLETTE - Enfin une personne qui a les deux pieds dans la réalité.

ANNA - Puisque toujours vous serez forcés de parler anglais !

Medium saignant, p. 99 - 103.

 

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John Hugh MacLennan, Two Solitudes.

Toronto, General Paperbacks, 1991.

 

Les fameuses Deux Solitudes

 

John Hugh MacLennan (1907 – 1990) est un écrivain canadien anglophone dont l’une des préoccupations centrales était de définir l’identité nationale du Canada.

Le titre du roman le plus célèbre de MacLennan est pratiquement connu de tous les Canadiens, même par ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’auteur. Publié en 1945, Two Solitudes traite les relations et les tensions entre Canadiens anglophones et francophones. Ce roman est, en fait, l’œuvre paradigmatique sur les deux plus grands groupes linguistiques du Canada et analyse la dichotomie entre ce qu’on appelle les deux ‘peuples fondateurs’ du pays, particulièrement lors de la première moitié du XXe siècle avant la Révolution tranquille. Aujourd’hui, on parle encore fréquemment des ‘deux solitudes’ pour désigner la situation de séparation et de non-dialogue entre les communautés anglophone et francophone. Le titre du roman de MacLennan est donc devenu un symbole d’un héritage inquiétant du Canada.

Two Solitudes relie d’abord l’histoire du Québec dans la première moitié du XXe siècle avec celle d’Athanase Tallard, un propriétaire puissant représentant les Canadiens français. Quand il commence à faire des affaires avec Huntley McQueen, un riche capitaliste anglophone de Montréal, et à se disputer avec le curé de la paroisse, Athanese est considéré comme un traître.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Stefanie Rudig

 

Extrait de texte

 

But down in the angle at Montreal, on the island about which the two rivers join, there is little of this sense of new and endless space. Two old races and religions meet here and live their separate legends, side by side. If this sprawling half-continent has a heart, here it is. Its pulse throbs out along the rivers and railroads; slow, reluctant and rarely simple, a double beat, a self-moved reciprocation.

Two Solitudes, p. 2.

 

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John Hugh MacLennan, Two Solitudes.

Toronto, General Paperbacks, 1991.

 

La dichotomie anglophone-francophone

 

Un des fils d’Athanase, Marius, s’insurge ardemment contre les injustices que vivent les Canadiens-français dans leur propre pays. Il déteste les Canadiens-anglais et leur reproche de monopoliser tout le pouvoir dans la province.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Stefanie Rudig

 

Extrait de texte

 

‘In this town,’ he said, looking over Emilie’s head, ‘all the poor I met were French. We’re the ones that get splashed with the motor cars of the English.’ He looked down at the girl beside him. ‘Did you ever stop to think how comparatively few English live in Montreal?’

Emilie shook her head. She had no interest in what he was saying, but the way he said it gave her a sick feeling inside. He stooped down and picked up a grain of rice that had been thrown at the honeymoon couple. Eyeing it as he turned it over in his fingers, he went on. ‘In Montreal the French outnumber the English three to one. In the province we outnumber them more than seven to one. And yet, the English own everything!’ He held the grain of rice under the nail of his thumb and stared at the floor. ‘The English in Montreal, they own nearly the whole of Canada. And yet once upon a time the whole of Canada belonged to the French.’

Emilie tried to smile. She tugged at his coat in an effort to get him to sit down again, but Marius knew he talked better on his feet. ‘In the factories all the bosses are English. One English boss, five hundred French workers. Funny, no?’ He cracked the grain of rice solemnly between two nails at though it were a flea. ‘But on the whole,’ he went on, ‘it’s the laziness of the poor one should first observe. The rich are equally stupid, but I think maybe the rich are frightened, and frightened men are not generally lazy.’

Two Solitudes, p. 159.

 

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John Hugh MacLennan, Two Solitudes.

Toronto, General Paperbacks, 1991.

 

Deux sollicitudes

 

Le deuxième fils d’Athanase, Paul Tallard, est à l’aise dans les deux langues. Fils d’un père canadien-français et d’une mère irlandaise, Paul personnifie la réconciliation éventuelle des Anglophones et Francophones au Québec et symbolise en même temps la nouvelle génération et l’avenir d’un pays uni. Vers la fin du roman, Paul, qui représente les Canadiens-français, épouse Heather, membre de la communauté anglophone et protestante, malgré tout ce qui a pu leur faire obstacle.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Stefanie Rudig

 

Extrait de texte

 

After checking out of the hotel, Paul drove the car back to the ferry for Levis. Heather made no comment. She remembered that on the usual highway to Montreal along the left bank of the river lay Saint-Marc, and wondered if he were deliberately avoiding it.

He drove slowly all morning and Heather sat quietly beside him. Only a few hours before them lay Montreal, holding the tangled roots and residues of their separate lives. The city waited for them ominously, something that had tried to dominate them as long as they were in it, something neither had really escaped even now. Occasionally Heather glanced at his profile, wondering if his thoughts were the same as her own. Her husband. No, that word made no sense. It was for other people, a fence put up to keep others out. Just Paul. Heather and Paul against the rest of them.

She closed her eyes, clenching her hands in fury as she thought about the cage which had surrounded her all her life. They would humiliate him. Her mother and the rest would get at her through him. And inside her brain, behind her closed eyes, she saw what would happen if they knew she had married him. She saw how they would hurt him, slash at his pride as though they had whips in their hands. And now, just at the moment when she herself felt free of them, she knew they could hold her through what they could do to him.

Opening her eyes she looked again at his profile. His jaw was tight and his hands grasping the wheel seemed nervous. Was he thinking the same things? It seemed amazing that he had married her in Halifax, for he was really a careful man, aware of the odds and calculating them. Had he calculated them all now? She looked away. If only it were not for Montreal! If they could go away some place where nobody knew them! But he would have to get a job to be able to do that. And through working at the job, what would happen to his writing? She looked back at him again, drew close, laid her hand on his knee.

Short after lunch they saw the smoke of Montreal lying over the horizon, dulling the sunlight. The hot air held it like an umbrella. The river began to look darker, they saw the giant cross on top of Mount Royal, then the trestlework of the Jacques Cartier Bridge. A few moments more and they had reached its southern foot. Paul paid the toll and they moved onto the incline in a long row of cars. Then, as the bridge climbed over Saint Helen’s Island which lay in mid-stream separating the channel from the shallows, he turned the car to the left and descended the ramp. ‘Let’s not go into town yet,’ he said quietly.

They drove along the island and stopped on its farthest tip. There were few people about at this hour of the afternoon, so they sat on the grass side by side and looked across at the city. It sprawled there ponderously, miles of docks, warehouses, grain elevators, factories, slums, office buildings, homes; a huge encrustation of concrete, brick, mortar and asphalt spreading back over the flats to Mount Royal and beyond an enormous property.

He said quietly, ‘Heather, do you think things have changed much since I went away in 1934?’

She forced herself to answer. ‘Not much. My own part certainly hasn’t. Huntly McQueen, Chislett, Rupert Irons – they’re the same as ever, and so is everything else.’ She looked fixedly across the river at the docks. ‘I think I hate them.’

There was a long silence between them. He broke it finally. ‘Have we both been thinking the same thing?’

She smiled ruefully.

‘I don’t think I’ve ever wanted property,’ he said. ‘But I’ve never been able to get the old house in Saint-Marc out of my mind. I suppose land is in the blood of all French-Canadians.’

She pulled a blade of grass apart as he went on.

‘I’d like to have a place of our own sometime. I’m quite commonplace and banal, really. I’d like to see you cutting roses in the garden.’ She turned away, and his voice continued. ‘Somehow or other, we’ve got to get some graciousness back into human life. I seem to have seen so little of it. People may forget all about it, soon.’

Her hand found his and pressed it. ‘We’ll have all that, Paul. We will!’

Two Solitudes, p. 367 - 368.

 

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Francine Noël, Maryse

Montréal, VLB éditeur, 1987.

 

La crise d’Octobre

 

Francine Noël raconte dans son roman Maryse l’histoire d’une jeune fille de vingt ans, la dite Maryse, tout en décrivant, dans ce cadre, les mouvements politiques, économiques et sociaux qui ont agité le Québec dans les années 1970. D’origine modeste, Maryse part à la découverte du monde sur lequel elle se fait des illusions. Elle s’inscrit à l’université, où elle est confrontée à une partie jusqu’alors inconnue de la société. La jeune femme, dont les origines se trouvent dans le prolétariat, se trouve en face d’enfants issus de familles aisées qui exercent un immense attrait sur elle. L’héroïne du roman, confrontée aux problèmes socioculturels de l’époque, essaie ainsi de se libérer des contraintes de sa famille et d’échapper à une vie monotone en cherchant l’amour et la passion.

Le passage suivant se déroule lors de la crise d’Octobre 1970, alors que le Front de libération du Québec avait pris en otage le diplomate britannique James Cross ainsi que le ministre Pierre Laporte. Par conséquent, l’armée canadienne s'installe à Montréal pour assurer la protection des édifices gouvernementaux. Maryse qui se rend chez une copine pour garder son bébé est interpellée, à son étonnement, par des soldats armés qui ne maîtrisent pas le français.

 

sources:
http://auteurs.contemporain.info/oeuvre.php?oeuvre=Maryse&no=38 (consulté le 3 juin 2010).

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Elisabeth Grohsmann

 

Extrait de texte

 

L’autobus 51 était presque vide et le métro également. Elle en sortit à la station Sherbrooke. Au coin de Saint-Denis et Cherier, elle pose son sac pour s’allumer une cigarette. La figure, compassée de la sœur Sainte-Monique lui revint en mémoire : « Mesdemoiselles, si jamais vous fumez au moins que ce ne soit pas dans la rue. Une femme distinguée ne fume pas dans la rue, ne fume pas ! » Maryse prit une touche et, son sac de minounes sous le bras, elle continua sa route, Était-ce dû à l’évocation de la sœur Sainte-Monique, sa Craven A lui sembla particulièrement bonne. Il régnait cependant dans le quartier une atmosphère bizarre qu’elle se sentait incapable de définir.

Devant la caserne des Fusiliers Mont-Royal, il y avait des soldats armés. Qu’est ce qu’ils faisaient dehors à cette heure-là ? Instinctivement, Maryse voulut changer de trottoir, mais il était trop tard, un des soldats s’était détaché du groupe et l’interpelait. Encore un fatiquant ! Sans lui prêter attention, elle continua de marcher comme si de rien n’était, mais un autre soldat se planta devant elle.

- Excuse me. Miss, your identification please.

Le premier soldat, celui qui l’avait apostrophée, les rejoignit.

- What do you mean by papers ? dit Maryse.

Elle pensait à Molly, au début du roman, quand, sommé par les flics de montrer ses papiers, il leur exhibe son torche-cul. Scène inoubliable ! Mais elle n’était pas Molly. Ça se passait pourtant comme dans un roman, ça devait être une farce ! D’ailleurs, les soldats n’avaient pas l’air vrais.

- Come on, miss, dit l’un des deux.

Il avait les cheveux hideusement courts et des boutons.

- Sorry, dit Maryse. I left them home. What’s wrong ?

- Really, dit l’autre soldat qui était tout aussi laid et affligé d’épaisses lunettes, you don’t have your papers ?

Il la regardait de la tête aux pieds. Elle portait des jeans usés et, par dessus son gilet mauve, un chandail de grosse laine écrue que Michel ne mettait plus, en ce sens qu’il le lui avait abandonné. Les gars déguisés en soldats commençaient à lui tomber sur les nerfs, le téléphone de Maureen l’avait retardée, et s’ils continuaient à la niaiser, elle n’aurait pas de temps de parler avec François. Elle répondit :

- Really, vous me faites chier les gars.

Il était clair maintenant qu’ils ne comprenaient pas un mot de français

- What have you got in your bag, miss, dit le premier soldat. Put it down.

Ce qu’elle fit. Le sac remua un peu et les soldats s’entreregardèrent, sidérés. Ça devenait drôle. Un troisième comparse s’était approché. Il avait l’air d’un boss.

- What’s going on there? fit-il.

Puis il aperçut le sac noir, luisant et fatidique.

- Open it, miss, dit le soldat boutonneux.

- Why? Are you sure you’ve got the right to do that? I’ll complain.

Elle était furieuse et sentait monter en elle quelque choses qui ressemblait à de la peur. Elle voulut se prouver que tout cela était une énorme farce.

- Of course, dit-elle en prenant une dernière touche, it’s a bomb. I never go out without my pills an my bomb.

- Open that bag, Williams, ordonna le soldat boss.

Ledit Williams se pencha sur le sac. Maryse jeta son mégot à ses pieds pour l’éteindre de sa sandale mauve pendant qu’avec d’infinies précautions le soldat faisait glisser la fermeture éclair. La chatte Gaby sortit sa petite tête et miaula : c’était son premier contact avec le monde extérieur et elle fut saisie. Williams le fut autant.

- Go on, dit le soldat boss.

Bravement, Williams ouvrit le sac tout grand. Granola apparut à son tour et, horrifiée, elle bondit se réfugier sous une auto. Entre-temps, d’autres soldats avaient commencé des manœuvres au beau milieu de la rue et il y en avait un qui jappait des ordres d’une voix terrible et dans une langue étrange que les chattes n’avaient jamais encore entendue.

Le sac de Maryse ne contenait rien d’autre qu’un étui à lunettes vide, des tickets d’autobus, un exemplaire de Molloy dans la collection 10/18, un paquet de Craven A et, dans un petit porte monnaie tout usé, un billet de cinq dollars et un permis de conduire.

- Sorry, miss, dit le soldat à lunettes, we never know.

Il laissa retomber le permis de conduire sur Gaby.

Étendu de tout son long sur le trottoir, son comparse tentait de rattraper Granola en criant niaiseusement pussy, pussy. Puis, comprenant que la chatte ne bougeait pas, il s’étira le bras et la ramena par un pleuma. Elle était sale et lui aussi : il avait une belle tache noire sur le nez et les lunettes de travers. Granola rejoignit sa sœur au fond du sac qui était toujours béant.

- Fermez-le donc, astheure, mon sac, gang de gnochons.

- Sorry, we don’t understand French, dit le soldat boss avec affabilité.

Maryse rezippa elle-même et elle leur demanda si c’était tout. Williams et l’autre regardèrent leur supérieur : oui, c’était tout.

- Maudits baveux, dit-elle en leur faisant comme un salut.

Elle partit avec, sous le bras, la cause de ses troubles.

Une fois qu’elle eut tourné le coin de la rue Henri-Julien, elle se mit à courir de toutes ses forces chez François où elle arriva les jambes molles et en sueur.

Maryse, p. 124 - 126.

 

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Mauricio Segura, Côte-des-Nègres.

Montréal, Les Éditions du Boréal, 1998.

 

Côte-des-Neiges à l’époque

 

L’écrivain Mauricio Segura est né à Temuco, Chili, en 1969. À l’occasion du coup d'État contre le président Allende dans l’année 1973, sa famille a émigré à Montréal, Québec, où l’auteur a passé cinq ans au quartier Côte-des-Neiges, le quartier le plus multiethnique de Montréal. Segura a fait des études d’économie et de littérature française à l’UQAM, et en 2001, il a obtenu le doctorat en littérature française de l’Université McGill. Il compte sûrement parmi les écrivains les plus remarquables de la littérature québécoise contemporaine.

Après son arrivé à Montréal, Segura en lui-même a fréquenté l’école primaire au quartier Côte-des-Neiges, et pendant ce temps-là, il a accumulé des expériences indispensables pour son premier livre Côte-des-Nègres. Il est le premier auteur qui ait réussi à décrire ce quartier avec la profondeur nécessaire et de plus, de la perspective intérieure. Avec Côte-des-Nègres, Segura a créé un roman réaliste très actuel en faisant un portrait fier et troublant d’un des quartiers les plus peuplés et multiculturels de Montréal.

Côte-des-Nègres raconte l’histoire de deux adolescents immigrés, le chilien Marcelo et le haïtien Cléo, qui, au début, deviennent amis mais à la fin, leur amitié se rompt, malgré leurs points communs, par leur origine ethnique différente. Incapables de s’assimiler à la culture du pays d’accueil et de vaincre le grand écart entre l’ancienne et la nouvelle identité avec leurs différents systèmes de valeurs morales, ils souffrent de la solitude, de l’isolation, de la frustration et de la violence. Dans son roman, Segura réussit à ce que le lecteur s’enfonce, de manière très authentique, dans la vie quotidienne assez problématique des jeunes immigrés au quartier Côte-des-Neiges.

L’extrait suivant raconte l’histoire de l’institutrice sœur Cécile, une religieuse déjà très âgée qui enseigne encore à l’école polyvalente. L’auteur décrit comme elle est venue à la ville Montréal, et comme elle est devenue enseignante; comment elle avait vécu ce changement énorme par lequel la ville a passé au cours des années. Ainsi, elle se souvient du quartier de son enfance et de son adolescence lorsqu’il y avait encore des chevaux sur le chemin de la Côte-des-Neiges.

sources:
Bertin, Raymond: « Mauricio Segura. Péril en la demeure ». http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&section=10&article=2335 (consulté le 4 janvier 2010).
Moreno Herrera, José-Francisco: « Identités fugitives au Canada, en France et aux États-Unis. », http://etd.lib.ttu.edu/theses/available/etd-06272008-31295019381168/unrestricted/31295019381168.pdf (consulté le 4 janvier 2010).

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Karin Jugl-Fröwis

 

Extrait de texte

 

UNE SEMAINE PLUS TOT, sœur Cécile avait reçu des honneurs qui l’avaient laissée songeuse : lors d’une cérémonie en grande pompe, dans un hôtel cinq étoiles du centre-ville, on lui avait remis une plaque commémorative soulignant ses cinquante années de service à la Commission des écoles catholiques de Montréal. On avait si longuement rappelé qu’elle était, avec ses soixante-quatorze printemps, comme avait dit le commissaire, l’institutrice la plus âgée de la ville, que cela l’avait quelque peu démontée. Si bien que ce soir-là elle était revenue à la maison-mère en se sentant non pas heureuse comme elle l’avait d’abord cru, mais plutôt abattue : s’était-on hâté de la célébrer, pressentant qu’elle allait bientôt quitter ce bas monde ? Les jours suivants, deux autres questions avaient surgi, plus tenaces celles-là. Était-elle toujours de son temps ? Ne devrait-elle pas accrocher ses patins, comme disait un de ses filleuls en la taquinant, et prendre sa retraite ? Dieu du ciel, et si tout ce monde disait vrai ?

Depuis sa plus tendre enfance, elle avait su qu’elle serait enseignante, n’admirant rien autant que le travail de ses maîtres. À la fin de son adolescence, ce pressentiment s’était confirmé : les enfants lui procuraient la plus grande des gratifications. En entrant dans la congrégation des sœurs de Sainte-Croix, elle avait été mue par deux convictions : servir le Seigneur de tout le dévouement impétueux de sa jeunesse et dédier sa vie aux enfants. Et c’est exactement ce qu’elle avait fait. Parallèlement, elle avait été témoin de la transformation qu’avait subie le Québec, surtout Montréal, et cela ne s’était pas toujours fait sans pincement au cœur. Parfois, quand elle était à genoux à l’église Saint-Pascal, ses pensées s’égaraient et elle se demandait, troublée, ce qui c’était passé. Où donc étaient partis les gens, les paysages, les scènes de son enfance et de sa jeunesse ? Elle, qui venait de Sainte-Agathe, avait découvert Montréal, adolescente, et ne l’avait plus jamais quitté. Souvent, à la blague, devant les autres religieuses, elle disait que c’était l’amour de sa vie, et les autres riaient comme des jeunes filles, une main sur la bouche.

Par moments, elle en voulait au soi-disant progrès d’avoir à ce point changé ce qu’elle chérissait : une vie tranquille et saine, dans laquelle la nature prenait une place de choix. C’est pourquoi elle trouvait si important de raconter aux élèves ce qu’avait été le chemin de la Côte-des-Neiges à l’époque : les dimanches, les jeunes filles exhibaient leurs robes bordées de dentelle, un parasol sur l’épaule, les hommes, en complet brun, chemise blanche et feutre mou, se lissaient la moustache, admiratifs, des cochers paradaient des fiacres noirs, des paysans conduisaient des charrettes débordantes de légumes et de fruits. Ne savaient-ils pas, faisait-elle devant les élèves en levant l’index, comme pour leur annoncer qu’ils seraient étonnés, qu’on venait de loin, parfois de l’autre côté du mont Royal, pour venir acheter des légumes bon marché ? Peu importe de quel pays provenaient les enfants, la réaction était toujours la même : ils se précipitaient à la fenêtre et suivaient le flot des automobiles : des chevaux sur Côte-des-Neiges ? Non, c’était pas possible ! Vraiment, sœur Cécile ?

Côte-des-Nègres, p. 115 - 117.

 

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José Leandro Urbina, Collect Call.

Ottawa, Split Quotation 1999.

 

Efforts indépendantistes

 

L’écrivain chilien José Leandro Urbina, qui s’est enfui avant le coup d’état en 1973, vit au Canada depuis les années 1970. Certes, il n'a publié que deux œuvres majeures jusqu’à ce jour, mais ces deux textes ont été salués par une bonne partie de la critique, surtout dans les pays hispanophones. La première œuvre, une collection de nouvelles appelée Las Malas Juntas (en anglais Lost Causes), traite les incidents politiques dramatiques dans son pays d’origine, le Chili ; la deuxième œuvre, Cobro Revertido (en anglais Collect Call, en français Longues distances), se déroule à Montréal et réfléchit à l’expérience de l’exil.

Dans Collect Call, l’auteur décrit 24 heures de la vie d’un immigrant chilien à Montréal qui, après avoir passé une nuit à picoler, apprend que sa mère est morte au Chili. Bien qu’il ne dispose pas des moyens nécessaires pour payer le billet d’avion, il promet sans hésiter d’assister à l’enterrement. En effet, le protagoniste dont le nom est inconnu (le narrateur l’appelle « le sociologue ») n’a ni une formation professionnelle terminée, ni un poste de travail convenable. Ainsi, il essaie de dénicher ailleurs l’argent dont il a besoin, l’empruntant en fin de compte à son ex-femme Megan. Mais aussitôt que l’affaire est conclue, il dilapide l’argent dans une beuverie avec ses compagnons chiliens. Le roman finit par une scène nocturne absurde dans le Parc Lafontaine : lorsque « le sociologue » vient au secours d’une femme en désarroi, il est gravement blessé par son amant, chilien comme lui-même. La fin reste incertaine.

Le récit est entrecoupé de nombreux flash-back évoquant des souvenirs d'enfance au Chili, le sort de sa mère défunte, l’histoire du mariage échoué avec Megan ou encore l’aventure amoureuse avec la franco-québécoise Marcia. De plus, il y a plusieurs discussions portant sur la politique québécoise et chilienne à l’heure actuelle. Les thèmes prédominants sont de toute évidence l’exil et l’échec tragique de l’individu sans point de repère.

L’extrait ci-dessous raconte l’épisode lorsque Megan invite le protagoniste chez ses parents à Toronto. Ayant des ancêtres irlandais, Megan fait partie des catholiques anglophones. Dans ce passage, le lecteur apprend à quel point l’attitude des anglophones par rapport aux efforts indépendantistes au Québec est nuancée. En plus, l’auteur souligne la grande importance de la ville de Montréal pour Megan.

sources:
Hazelton, Hugh: Latinocanadá: a critical study of ten Latin American writers of Canada. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2007.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Karin Jugl-Fröwis

 

Extrait de texte

 

After half an hour, Charles, the other brother, arrived to welcome Meg and was really dying of curiosity to know what Martian his little sister had showed up with. Halfway through the second whiskey, they all switched to French to make things easier and to show me that they too were Montreal people, even if they had been born in Hamilton. The family had moved to Montreal when the boys were small and they had lived near Préfontaine. Meg was born there, so she was the only one entitled to a Quebec passport. When the Parti Québécois was founded under Lévesque with the express purpose of separating the province from English Canada, they had decided to ask for transfer to Toronto because they were tired of the whole business and the atmosphere it was creating, and Meg had bought a really cheap apartment, with John’s help, from some folks who were also leaving out of concern about what the future held in store for them if the independence movement chose violence as the means of carrying out its political program. She didn’t want to leave, Montreal was her city and no matter what might happen, for her there was no better alternative so far as life-style was concerned. She had never liked Toronto and besides she didn’t want to feel expelled by circumstances, and she was fully confident that the people in the province were capable of living together in peace, and deep down she didn’t see anything wrong in the desire of Quebecers to have their own country. “Apparently we’re in the age of exile,” I put in, trying to keep the tone light and give an international dimension to the discussion. “Where I work there are some white Angolans who came to Canada because they couldn’t stay in Angola. That’s their country and they shed tears for it every day. When the situation became intolerable they went to Portugal, but they couldn’t stand life in that country either, it felt foreign to them and they were considered African and looked down on as rubbish by the right and the left.” “Well, in this country nothing like that would ever happen,” John said with a certain pride, switching to English. Charles snorted with laughter. “You always seem so convinced that this country is removed from the realities of the world. Remember when Trudeau sent in the army and Montreal woke up in state of siege under the heels of military.” “Don’t exaggerate, Charles,” John responded in a firm tone. “That was one little incident in the democratic development of the nation. Terrorism brought forth a show of exceptional and logic force. Nobody can expect his actions not to have consequences. If you want to play cops and robbers, don’t make yourself out to be the victim if your opponents beat up on you.”

Collect Call, p. 95 - 97.

 

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Yolande Villemaire, « Ange amazone ».

Dans : Beausoleil, Claude (éd.) : Montréal est une ville de poèmes vous savez. Montréal, L’Hexagone, 1992.

 

La fondation de Ville-Marie dans la perspective d’un grand chef

 

Dans l’extrait suivant d’« Ange amazone », Yolande Villemaire, une poétesse qui porte dans son œuvre un intérêt particulier à l’Inde et à toutes sortes de systèmes sémiologiques, propose un regard singulier sur la fondation de Montréal. En mettant le « je » lyrique dans la position d’un chef amérindien, elle le montre bien conscient de la situation de son peuple. Son regard s’arrête sur les couleurs du paysage avant qu’une rupture abrupte intervienne ; puis, la poète souligne la dimension mythique de la ville gardant la mémoire des temps révolus. Ce bref extrait donne, par le jeu avec des allitérations et assonances multipliées, une idée du lyrisme des textes de Yolande Villemaire aussi bien qu’il met le lecteur/la lectrice pour quelques instants dans l’univers enchanteur qu’il parvient à susciter.

 

Texte d'introduction et choix de l’extrait: Markus Ludescher

 

Extrait de texte

 

Ange amazone

C'est le commencement du monde. Je glisse en canot vers
Hochelaga. C'est l'automne. Il fait soleil, très soleil. Je suis le
grand chef Ottawa en route vers Hochelaga. L'eau est si calme
que les rives du Saint-Laurent s'y reflètent comme dans un miroir
brillant. On nous donne des miroirs en échange d'un territoire.
On nous donne des miroirs et nous nous y mirons tandis que le
sol se dérobe sous nos pieds. Je glisse sur l'eau glacée du Saint Laurent,
heureux, malheureux, beau temps, mauvais temps.
Tout cela, au fond, importe assez peu. Le temps est un cercle,
j'habite un cercle, mon peuple est circulaire. On nous donne
des miroirs pour qu'on pense autrement. On nous donne des
miroirs pour nous priver du territoire. Cette eau est bonne à
boire, cette terre regorge de gibier, pourquoi tiennent-ils tant à
créer des frontières? Ils nous donnent des miroirs pour qu'on
ne puisse voir ce qu'ils sont en train de faire sur notre territoire.
Ils nous donnent des miroirs pour nous rendre illusoires. Mon
canot entre dans l'archipel d'Hochelaga qui rutile dans l'or flamboyant
d'octobre. Le rouge monte aux arbres comme le sang
rouge qui tourne dans nos veines. Hochelaga éclate, orange,
ocre, pourpre, rose à travers les restes de vert, sur le bleu et l'indigo
du ciel.

Rappelle-toi Miguel, rappelle-toi d'Atlantis. Imagine le retour
de notre race sur la terre Miguel. Laisse Ange Amazone réveiller
les circuits de ta mémoire et entre dans Montréal Montréal ville
multicolore. Montréal Montréal archange miroir qui se souvient
de l'été des Indiens.

Montréal est une ville de poèmes vous savez, p. 165.

 

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