Le métro

D’après Jean-Claude Germain, le métro de Montréal est ce que les boulevards sont à Paris et les canaux à Venise.1 Composé aujourd’hui de 68 stations et de quatre lignes, le réseau de métro montréalais abrite l’une des plus importantes galeries d’art public souterraines au monde qui montre le cheminement historique et artistique de la métropole.

 

metro metro2
(c) http://www.cs.mcgill.ca/~qischool/images/plan-metro.jpg (c) Markus Dabernig

 

Lors de sa construction en 1966, l’objectif des concepteurs n’était pas d’intégrer des œuvres artistiques à l’architecture, mais de donner un caractère unique à chacune des stations. C’est la raison pour laquelle chaque station a été conçue par un architecte différent. L’art en tant que tel ne jouait pas un rôle majeur à l’époque. Ce n’est qu’un peu plus tard que l’idée de faciliter l’accès à la culture, qui se trouvait alors principalement dans les musées, est survenue. C’est grâce à trois personnages que des œuvres d’art ont visiblement été intégrées dans les stations de métro : Claude Robillard, directeur de l'urbanisme de la ville de Montréal, Jean Drapeau, maire de Montréal, et Robert La Palme, peintre et caricaturiste. Ce dernier a reçu la fonction d'attribuer les contrats et de voir à ce qu'ils soient réalisés. Les principes de La Palme étaient les suivants : « Il faut distinguer, aujourd'hui, entre les artistes créateurs et les recherchistes, les vedettes de showbiz qui trop souvent sont lancées, consacrées et payées au nom de l'Art. J'affirme que l'art, même contemporain, doit revenir à l'humain. »2 Par ailleurs, les artistes étaient libres de créer des chefs-d’œuvre abstraits.

De nos jours, presque toutes les stations du métro de Montréal sont décorées. Un grand nombre de stations racontent l’histoire de Montréal grâce à des œuvres abstraites. Nommons par exemple la station Saint-Laurent, où l’importance de l’agriculture est soulignée, ou bien la station McGill, qui honore le fondateur de l’Université McGill, ou encore la station Berri-UQAM, dont un vitrail rend hommage aux fondateurs de la ville de Montréal. Dans certains cas, l’œuvre devient même fonctionnelle, comme nous le remarquons dans la station Fabre où l’élément tubulaire en acier inoxydable sert de main courante, de barre d’appui ou de soutien pour les bancs. Généralement, les œuvres se trouvent à l'intérieur, mais il y a des exceptions. L’une d’entre elles est située à la station Square-Victoria: on y trouve une entrée aux éléments de style parisien, offerte par la ville de Paris à l’occasion de l’inauguration du métro de Montréal en 1967.3

Finalement, il semble important de noter qu’un grand nombre d'artistes québécois ont fait leur début dans les passages souterrains du métro de Montréal. Une particularité dans ce contexte est la liberté des artistes: des affiches représentant une lyre blanche permettent l’accès aux artistes à 65 endroits. On y trouve des guitaristes, contrebassistes, flûtistes, chanteurs a capella, peintres, jongleurs, etc.

sources:
1 Cf. Prévost, Nicolas : « Le métro de Montréal ». http://www.frontenac-ameriques.org/histoire-et-memoire/article/le-metro-de-montreal (consulté le 20 juin 2010).
2 Cf. Clairoux, Benoît : « Les œuvres d'art dans le métro de Montréal ». http://www.metrodemontreal.com/history/art/index-f.html, (consulté le 20 juin 2010).
3 Cf. ibid.
http://www.metrodemontreal.com/history/art/index-f.html (consulté le 20 juin 2010).
http://www.stm.info/metro/art/index.htm (consulté le 20 juin 2010).
http://www.stm.info/en-bref/mepmetro.htm (consulté le 20 juin 2010).
http://www.frontenac-ameriques.org/histoire-et-memoire/article/le-metro-de-montreal (consulté le 20 juin 2010).
http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=15712 (consulté le 20 juin 2010).

Texte d'introduction: Julia Osl

 


 

Despatie, Stéphane - Station souvenirs - Plonger dans l'univers métropolitain

Dupuis, Gilbert - Mon oncle Marcel qui vague vague près du métro Berri - Le milieu des sans-abris

Godin, Gérald - Tango de Montréal - Le cœur de la ville qui ne s’arrête jamais

Kurapel, Alberto - Berri-UQAM direction Honoré Beaugrand - Une rencontre enchanteresse dans le métro

Kurapel, Alberto - ExiTlio in pectore extrañamiento - Le métro en construction

Laferrière, Dany - Éroshima - Une explosion postmoderne

Urbina, José Leandro - Collect Call - Trajet à travers Montréal

 


 

Stéphane Despatie, « Station souvenirs ».

Dans : Lignes de métro. Montréal, l’Hexagone et vlb Éditeur, 2002.

 

Plonger dans l'univers métropolitain

 

« Station souvenirs » est un poème du Montréalais Stéphane Despatie qui se dévoue entièrement à la littérature. Ce poème nous permet de plonger dans l’univers métropolitain de la ville de Montréal. Le « narrateur », qui reste inconnu, se trouve sur la plate-forme Crémazie où on avait installé en 1968 une œuvre d'art monumentale, plus précisément une murale de céramique intitulée Le poète dans l'univers1. Ce chef d’œuvre avait été érigé en commémoration de quatre poètes québécois célèbres – Octave Crémazie, Louis Fréchette, Émile Nelligan et Hector de Saint-Denys Garneau –, représentés par des masques en fer et par des extraits de leur poésie. Presque perdu dans la notion de temps-distance, ce lieu est fréquenté soit comme station de départ, soit comme station d’arrivée. Dans cet espace utopique, le « je » lyrique exprime l’atmosphère du long corridor métropolitain en mots, entremêlant des stimulus à la fois sensoriels et précis aux souvenirs de son passé.

 

sources:
1 www.metrodemontreal.com/art/cordeau/metro-f.html (consulté le 16 août 2010).
Mathis-Moser, Ursula : « Montréal ‘in a nutshell’: Metrotexte der Québecer Literatur ». Dans : Berger, Verena /Kirsch, Fritz Peter /Winkler, Daniel (éds.): Stadtkultur und Migration in Literatur, Film und Musik. Berlin, WEIDLER Buchverlag, 2007, p. 69 - 84.

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Sabrina Öztas

 

Extrait de texte

 

Station souvenirs

 

je ne sais plus si je les aimais
ces beiges murs tout en hauteur
ni si le nom de Crémazie signifiait pour moi
l’endroit d’où l’on part

je ne sais plus
si le temps a pris le train
si le poète a finalement saisi l’univers

station souvenirs      long corridor
je revois le flûtiste atteint
attendant une médaille ou de la monnaie
rythmant un boléro d’une rage vieillie

trois par trois      mon père en uniforme
monte les marches de l’escalier mobile
d’un doigt à l’autre une cigarette
à son vol de nuit qui rapporte des figues

dans un coin sommeille l’émérite
du bois Saint-Hubert      quelques feuilles au chapeau
un sac de boîtes de conserve et de guenilles de rêve
en ses poches l’espoir d’un échange honnête

une meute d’écoliers en rang chante
une sortie excitante comme le chocolat
dans leurs cheveux un reste de nuit
la mémoire d’un rêve où ils marquaient des points

sous le regard de Saint-Denys Garneau, Nelligan et Crémazie
je retiens quelques signes probablement par devoir
mais surtout des passants une certaine indifférence
peut-être nécessaire pour commencer le jour

entre deux départs      quelques retards
aussi fidèles que l’oubli

Lignes de métro, p. 51 - 52.

 

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Gilbert Dupuis, Mon oncle Marcel qui vague vague près du métro Berri.

Montréal, vlb Éditeur, 1994.

 

Le milieu des sans-abris

 

En 1991 Gilbert Dupuis a gagné le Prix du Gouverneur général pour sa pièce Mon oncle Marcel qui vague vague près du métro Berri, une œuvre qui décrit la réalité misérable et le destin impitoyable des sans-abris à Montréal. Dupuis raconte l’histoire de ces derniers en plongeant dans la vie de plusieurs personnages subissant la misère : L’Espérance a travaillé comme mécanicien jusqu’à ce qu’il soit remplacé par des machines. En conséquence, il s’est retiré dans un monde imaginaire dans lequel il rencontre souvent son oncle Marcel, décédé à cause de la misère dans les années 1930. Rosaire est un ancien chauffeur de taxi s’étant engagé pour la cause du FLQ. La mère Pouliot a gagné sa vie comme prostituée avant de mettre au monde sa fille Besy Body qui marche maintenant sur les traces de sa mère. Même si Besy Body n’apparaît pas dans la pièce, elle est, avec son proxénète Dollar, le point central de l’action. L’Espérance et Rosaire ont peur que Dollar ne les tienne pour responsables de la vitre cassée de son bar et c’est ainsi qu’ils se sentent toujours poursuivis par lui. La mère Pouliot veut protéger sa fille qui fuit également Dollar et commence à travailler avec Rose-de-Lima, une travailleuse sociale, s’engageant à ouvrir un foyer pour femmes. Par contre, les intentions de Rose-de-Lima paraissent être aussi louches que celles d’un autre travailleur social, Ambroise, qui a payé Besy Body pour des plaisirs sexuels. Puis, toute la situation s’envenime avec l’arrivée de Talbot qui a grandi dans la rue et qui, ne voyant toujours que son propre intérêt, exploite les sans-abris. À la fin, Besy Body et Dollar meurent, et la situation des sans-abris demeure toujours aussi misérable.

À travers cette pièce, Dupuis critique non seulement la réalité sociale de Montréal et les grandes différences économiques au sein de la population, mais également le système en place qui ne permet pas aux démunis de s’élever dans l’échelle sociale. De plus, il démontre que les seules personnes qui s’intéressent aux sans-abris sont soit des personnes qui veulent les exploiter, soit des personnes du secteur public telles que les travailleurs sociaux qui, d’ailleurs, n’agissent pas toujours sans intérêt personnel.

L’extrait de texte commence avec la description de la scène, le terrain près de la station métro Berri qui est l’un des « lieux de résidence » préférés des sans-abris de Montréal. Puis, le lecteur plonge dans la tête et la réalité d’Espérance, qui revit son licenciement, sa séparation d’avec sa femme et, en conséquence, sa déchéance sociale.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Katharina Pöllmann

 

Extrait de texte

 

TABLEAUX

La rue : À l’arrière-plan, une ville immense et omniprésente – un peu surréelle.

Au second plan, de vastes grilles servant à l’aération des buildings, formant un mur et un sol poreux d’où émerge, à intervalles irréguliers, une fumée blanche et âcre (les sans-abri ont l’habitude de se réunir près de ces grilles, source de chaleur et de bien-être).

Au premier plan, un terrain vague contenant des détruits de toutes sortes (barils d’huile vides, boîtes de carton, carcasses de voitures démantibulées, vêtements abandonnées, etc.).

Des bruits de trains et de bateaux qui passent.

L’action se déroule autour et sur les grilles.

Des zones d’éclairage identifient les lieux scéniques suivants :

une salle d’audience.

un centre d’hébergement 24 heures.

la pension de Talbot.

une toilette dans une prison.

[…]

Tableau 4

La rue, les grilles et le terrain vague.

L’ESPÉRANCE (DONT LES VOIX NON INCARNÉES FONT PARTIES DU MARMOTTEMENT) ET MON ONCLE MARCEL.

L’ESPÉRANCE, il donne des coups de poingts dans l’vide. Viens icitte ! Envoye Dollar, viens que j’t’étampe ! (Un temps.) Mon t’chèque, bondance… (Il ramasse un caillou et en menacedes personnages imaginaires.) Allez-vous’en !

VOIX 1
Y a rien

L’ESPÉRANCE
Comment ça, y a rien ? Vous avez r’gardé dans les autos ? La mécanique. Mécanicien…

VOIX 2
Y a rien.

L’ESPÉRANCE
J’peux faire d’autres choses en attendant !

VOIX 1
Même en attendant…

VOIX 2
… y a rien.

L’ESPÉRANCE
Mais vous comprenez pas, là, j’achève mon chômage.

VOIX 1 ET 2
Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?

L’ESPÉRANCE
J’veux que vous m’trouviez une job ! C’est vot’job de trouver des jobs au monde, bondance ! C’t’à vous autres à m’sortir de là !

VOIX 1
L’usine t’a licencié parce que…

L’ESPÉRANCE
C’est des menteries !

VOIX DU CONTREMAITRE
On n’en a pas à tes compétences…

L’ESPÉRANCE
Ben, gardez-moé, d’abord !

VOIX DU FONCTIONNAIRE
I peuvent pas vous garder, monsieur L’Espérance, les machines sont désuètes.

L’ESPÉRANCE
M’as vous en faire ! Désuètes…

VOIX DU CONTREMAITRE
Les nouvelles machines, c’est tout’…

VOIX DU PATRON
Du japonais !

VOIX DU FONCTIONNAIRE
Du chinois !

VOIX DU PATRON
Du coréen !

VOIX DU PATRON, DU CONTREMAITRE ET DU FONCTIONNAIRE
Vous connaissez rien là-dedans, vous !

VOIX DU CONTREMAITRE
Rien.

VOIX DU PATRON
Rien.

VOIX DU FONCTIONNAIRE
Rien.

VOIX DU PATRON, DU CONTREMAITRE ET DU FONCTIONNAIRE
Vous !

L’ESPÉRANCE
J’peux apprendre ! J’vas apprendre !

VOIX DU CONTREMAITRE
À votre âge ?

VOIX DU PATRON
Retournez à l’école… Vous êtes désuet.

VOIX DU CONTREMAITRE
Comme les machins, vous êtes désuet.

L’ESPÉRANCE
Moé, désuet ?

LUCILLE (EPOUSE DE L’ESPERANCE)
I ont dit qu’t’étais désuet !!!

L’ESPÉRANCE
Que c’est qu’tu veux que j’te dise, Lucille ? J’sus pas japonais, fait que j’sus désuet.

LUCILLE (EPOUSE DE L’ESPERANCE)
Mon mari est désuet. Moman, on a un désuet dans la maison !

L’ESPÉRANCE
C’est ça ! Dis comme eux autres ! Pis mêlez-vous pas de d’ça, madame Choquette ! Ça fait quinze ans que vous vivez à mes crochets ! J’ai marié vot’fille, moé ! Juste vot’fille ! Sacrez vot’camp ! (Il lance violemment le caillou contre les grilles. Le bruit est amplifié. Il s’écroule par terre et se tient la tête à deux mains.) Tire pas ! As-tu compris, Dollar ? J’i ai pas dit au fonctionnaire à sandwich où c’est qu’a l’était Besy, moé. Pis j’peux pas te l’dire à toé non plus, j’le sais pas. Mon t’chèque !!! Donne-moé mon t’chèque !!! Ahhhhh… J’sus mort… Au secours !

Mon oncle Marcel qui vague vague près du métro Berri, p. 6, 30 - 33.

 

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Gérald Godin, «Tango de Montréal».

Dans : Beausoleil, Claude (éd.) : Montréal est une ville de poèmes vous savez. Montréal, L’Hexagone, 1992.

 

Le cœur de la ville qui ne s’arrête jamais

 

Observateur perspicace du quotidien, Gérald Godin montre dans beaucoup de ses poèmes la vie quotidienne du peuple. Pour trouver une langue qui convienne et réponde à son intention de poète, il joue avec la langue populaire et le joual. Son expression langagière limpide et la simplicité de ses choix stylistiques sont des facteurs qui sont à l’origine de la popularité considérable de son œuvre poétique.1 Le poème « Tango de Montréal » montre une telle situation quotidienne qui permet une réflexion sur la vivacité de la ville. Une description simple dans le style familier soulève la question à savoir pourquoi Montréal tourne encore. Serait-ce le mouvement migratoire qui apporte toujours des gens venus d’ailleurs qui la font bouger ? Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner le fait que Godin s’engage, en tant que ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration dans les années 1980, pour la diversité culturelle. Dans le poème, la perception des immigrants comme moteur de la structure urbaine permet la valorisation de leur statut dans la société. La ville anthropomorphe apparaît comme faible et vieille. Ce ne sont que les nouveaux arrivants qui l’empêchent de s’arrêter. Cette imagerie est tout à fait singulière et peint une métropole à bout de souffle à laquelle l’on associerait normalement plutôt l’agitation tumultueuse.

 

sources:
1Cf. Royer, Jean : Introduction à la poésie québécoise. Les poètes et les œuvres des origines à nos jours. Québec, Bibliothèque Québécoise, 1992, p.131.

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Markus Ludescher

 

Extrait de texte

 

Tango de Montréal

Sept heures et demi du matin métro de Montréal
c'est plein d'immigrants
ça se lève de bonne heure
ce monde-là
le vieux cœur de la ville
battrait-il donc encore
grâce à eux
ce vieux cœur usé de la ville
avec ses spasmes
ses embolies
ses souffles au cœur
et tous ses défauts
et toutes les raisons du monde qu'il aurait
de s'arrêter
de renoncer

Montréal est une ville de poèmes vous savez, p. 189.

 

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Alberto Kurapel, « Berri-UQAM direction Honoré Beaugrand ».

Dans : Beausoleil, Claude (éd.) : Montréal est une ville de poèmes vous savez. Montréal, L’Hexagone, 1992.

 

Une rencontre enchanteresse dans le métro

 

Alberto Kurapel, un poète chilien qui a vécu en exil au Québec de 1974 à 1996, a publié plusieurs recueils de poésie en langue française. L’artiste qui est entre-temps rentré au Chili, a édité plusieurs de ses œuvres en éditions bilingues françaises et espagnoles. À côté de son travail de poète, il se consacre également au théâtre et réalise des spectacles hybrides portant le nom « Teatro-performance », qu’il a présentés, entre autres, à la Biennale de Venise en 2001.1 Parmi ses poèmes qui prennent pour sujet des épisodes de la vie québécoise, il y a « Berri-UQAM ». C’est un poème dont le charme se développe autour du récit d’une rencontre avec la joueuse de tambourin d’un groupe dans le métro montréalais. Le tableau détaillé et quasi amoureux de cette scène de rencontre passe des instruments de musique au corps de la femme contemplée jusqu'à son sourire, avant que le poète conclue que de tels moments entre les hommes sont pour lui ce qu’on appelle la vie, avec une majuscule.

sources:
1 http://www.myspace.com/kurapel (consulté le 26 août 2010).

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Markus Ludescher

 

Extrait de texte

 

Berri-UQAM direction Honoré Beaugrand

 

Eux aussi sont devenus troubles
ils n'ont jamais joué
ni chanté
que Country & Western
On devinait nager les grenouilles
et s'agiter les marais
du métro Berri-UQAM.

Ils pensaient chaque jour
que c'était la fin
sans savoir exactement
comment est la fin

quelle est la couleur de la fin.

Un tambourin taciturne
dans tes mains aux ongles longs

et vernis.

Deux guitares, un violon
interminable

entourent la blonde voix
de tes nichons gaspésiens
qui se gonflent

comme des soleils de Neptune,

comme des joies inexplicables

pendant que des colonnes et des vitraux
tapissent des sueurs

amplifiant

des parcours
et le va-et-vient de ton sourire,

Entre un corps couvert d'hématomes
et un autre
couvert de vison ou de chat sauvage
s'écoule quelque chose qu'on appelle
la Vie.

Montréal est une ville de poèmes vous savez, p. 293.

 

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Alberto Kurapel, ExiTlio in pectore extrañamiento.

Dans : 3 performances teatrales de Alberto Kurapel. Montréal, Humanitas, Nouvelle optique, 1987.

 

Le métro en construction

 

Alberto Kurapel, écrivain d’origine chilienne, s’adresse aux spectateurs de ses pièces, et tout particulièrement à ceux d'ExiTlio in pectore extrañamiento, non seulement par le biais du mot parlé mais en faisant appel à tous les sens. Dans ExiTlio in pectore extrañamiento, il choisit une forme multimédia et extrêmement hybride, pleine d’intertextes comme des voice-offs, des séquences vidéos, des extraits musicaux, des diapositives projetées ou des play-backs. Notons qu’il est conseillé de recourir à l’enregistrement vidéo de l’œuvre théâtrale pour l’analyser convenablement.

La première d’ExiTlio in pectore extrañamiento, classé dans le genre particulier d’exil des performances, a eu lieu à Montréal le 24 mars 1983. Dans ses Performances postmodernes, l’homme de grand talent traite l’exil de manière artistique. La pièce raconte l’histoire du masque et de l’exilé, les protagonistes principaux, qui essayent d’établir une balance entre leur culture d’origine et celle de leur patrie d’adoption afin de se forger une nouvelle identité sans couper les racines culturelles. De nombreux éléments sur scène font référence au pays d’origine de Kurapel, notamment un poncho, une guitare ou une diapositive montrant une indienne. Une scène clé très symbolique met en scène la tentative d’assimilation échouée et les problèmes d’intégration dans la nouvelle société : l’exilé essaie de se mettre dans un réfrigérateur qu’il a rempli auparavant de déchets comme par exemple des lampes, des coussins, des couettes, de la vaisselle, des fleurs de plastique, etc. Mais finalement le protagoniste est trop grand, il doit littéralement rester « au-dehors ». Le texte se termine par la description de l’aube dans la terre de l’exil : il y a des bus, des chasse-neiges et des immigrants qui travaillent dans le froid, qui font l’amour et qui sont « au moins la Veille d’une Prochaine Pensée » (p.41).

L’extrait suivant est un texte extrêmement symbolique composé des cinq chants liturgiques principaux de l’Ordinaire de la messe, notamment du Kyrie, du Gloria, du Credo, du Sanctus et de l’Agnus Dei. En outre, Kurapel établit un lien entre deux mondes, l’ancienne patrie en Amérique latine et la ville de Montréal, en faisant référence à la station de métro Berri et au Boulevard St-Laurent ainsi qu’à Santiago (qui représente probablement la capitale du Chili) et aux ruines pré-inca à Tiahuanacu en Bolivie.

sources:
De Toro, Alfonso : « Wege des zeitgenössischen Theaters: zu einem postmodernen Multimedia-Theater oder das Ende des mimetisch-referentiellen Theaters? ». http://www.uni-leipzig.de/~detoro/sonstiges/theaterdt.htm (consulté le 4 janvier 2010).
« Performance von zwei Grenzgängern. Abschluss der Vorlesungsreihe über das Eigene und das Fremde im globalen Zeitalter ». http://www.uni-protokolle.de/nachrichten/id/20527/ (consulté le 20 janvier 2010).

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Karin Jugl-Fröwis

 

Extrait de texte

 

EL EXILIADO

(Aparece vestido con botas, buro y poncho plateado Se desplaza par el lugar teatral cantando.)

Por el Metro en construcción...caminando...
diez de la noche, pero ya no estoy.
En este momento he dejado de ser yo. Miro no me ven.

KYRIE

No me escuchaste amigo y eso que ibas en mangas de camisa
porque hay mucho vapor; ese vapor que deposita sus huevos entre Berri de Santiago y Tiahuanacu. El Metro Tumba-Mecánica, no llegaba, no existe, y tú vas por la otra vereda.

GLORIA

te dije y pasaste
Voy en el último carro y entre la multitud de nadies NO HAY NADIE, ya no se podía escapar, estaba colmado de

CREDOS

bendiciendo espadas, tanques, kleenex, misiles, submarinos, Punto 30.

SANTOS

Allí…allí…allí con tu carita de Boulevard St-Laurent, a las doce de la noche, tacos altos y medias de seda negra, con un AGNUS DEI enmudeciendo sobre tu escote, mirabas con esos ojos de lagunitas andinas, apoyada en tus trece años, la comiquísima lengua del Exilio.

ExiTlio in pectore extrañamiento, p. 26 - 28.

 

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Dany Laferrière, Éroshima.

Montréal, vlb, 1987.

 

Une explosion postmoderne

 

Dany Laferrière, écrivain, scénariste et journaliste québécois né à Port-au-Prince en 1953, quitte son pays natal en 1976 pour s’installer à Montréal. Il débute son premier roman Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer en 1985, œuvre très appréciée par la critique qui remporte également un vif succès commercial. Les neufs romans qui suivent forment ce que Laferrière qualifie d’« autobiographie américaine ».

Très présent sur la scène culturelle montréalaise, il aborde des thèmes comme l’ethnocentrisme, la diversité culturelle, l’identité, les relations interraciales et la sexualité. Laferrière aime remettre en question des tabous et jouer avec des clichés, ce qui se voit aussi dans son deuxième roman, Éroshima (1987). Curieusement celui-ci n’a pas suscité beaucoup de réactions critiques bien qu’il offre une lecture énormément enrichissante.

Éroshima est un roman pluriel parsemé d’images multicolores qui résiste d’ailleurs toute classification et qui fait éclater les frontières du genre ainsi que celles de l’espace et de la voix narrative. Les courts chapitres se passent dans des métropoles comme Hiroshima et Montréal, ou dans d’autres grandes villes américaines et européennes, et véhiculent un univers fragmenté dit postmoderne. La métaphore centrale de la bombe, qui fait référence à des explosions sexuelles ainsi que réelles, comme le reflète le titre du livre, peut être considérée comme leitmotiv du roman, reliant les récits individuels.

Dans l’extrait cité ci-dessous, Laferrière nous emmène à un voyage à travers Montréal en métro. Le lecteur est immédiatement bombardé par des impressions multiples qui surgissent comme des flashs. Ainsi, Laferrière fait le point sur l’hybridité urbaine et sur la diversité du Montréal contemporain.

 

voir aussi : Mathis-Moser, Ursula : « Éroshima de Dany Laferrière. » Dans : Boivin, Aurélien (éd.) : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec. Vol. II (1986-1990). Montréal, Fides (sous presse).

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Stefanie Rudig

 

Extrait de texte

 

J’AI L’HABITUDE D’ALLER REGARDER les visages des gens dans le métro. Ce n’est pas recommandé. Les gens ressemblent drôlement à des oiseaux, des tortues, des singes, des hiboux. Jamais des aigles. Si, un seul. Une seule fois. Et je ne l’ai vu qu’une seconde ou deux. Il entrait dans le train au moment où je sortais. Un aigle. Un vrai. Bec et griffes, œil rond et regard qui plane. Je ne connais que très peu de contemporains à qui j’aimerais ressembler. Lui, oui. Un œil hautain et carnivore. Vivre là-haut. Très haut. Et descendre quelques fois en vol plané parmi eux. Me nourrir de leur chair. Piquer dans la foule mon souper, aussi simplement que ça. Et remonter, au soleil couchant, vers la plus haute solitude.
[…]

Berri-de-Montigny. J’entre dans la station. Je regarde. Je cherche ma direction. Tout est bien éclairé. Direction Atwater. Je descends un étage plus bas. Je n’attends pas longtemps. Le train arrive dans un sifflement de métal. Les portes s’ouvrent. J’entre. Elles se ferment. Je suis dans un autre MONDE. Je regarde mes voisins. Avez-vous déjà regardé un visage humain ? La peau, le grain de la peau, les os sous la peau. Les poils (cils, moustache, barbe). Les trous (yeux, nez, bouche). Les dents, les lèvres, le menton. Drôlement faits, les humains. Tout ça terne ou vivant, frémissant ou épuisé, lisse ou granuleux, frais ou en sueur. Je m’installe dans un coin, et j’observe. J’apporte toujours un calepin avec moi. Je note les gestes naturels, des bouts de dialogues (je peux suivre trois ou quatre dialogues à la fois), les visages perdus dans des monologues intérieurs. Je note. Des traits hachurés, rapides, presque des flashes. Le train bouge. Avec nous dans son ventre. Un bref voyage de 45 secondes pour ceux qui descendent au prochain arrêt. Faut dire que 45 secondes, c’est amplement suffisant pour faire sauter tout ça.

Saint-Laurent. Très peu des gens entrent. Plusieurs en sortent. Quartier populaire. Marchés. Poissonneries, boucheries, épiceries. Station soleil. Beaucoup d’immigrants. Bonheur d’entendre toute sorte d’accents. Je ferme les yeux et je fais un voyage éclair dans une multitude de pays.

Place-des-arts. Pourquoi est-ce que je prends toutes ces notes ? Parce que je sais que c’est la fin. Je suis un amateur. Une sorte de notaire. Je suis chargé de faire l’inventaire des êtres et des choses. Pour faire des réclamations quand ils auront fait sauter la planète. Dans ce cas, il faut tout noter. Tout est précieux. La haine est aussi précieuse que l’amour. Le bien est égal au mal. Tout nous appartient. À qui penses-tu qu’il faudra adresser ces réclamations ?

McGill. Elle porte un T-shirt aux couleurs de l’Université McGill. Longue, les yeux bridés et le regard tourné vers l’intérieur. Le genre de fille à s’appeler Lo. Lo est entrée dans le train et a trouvé une place libre en face de moi. Je n’en demandais pas tant. Pourquoi les Asiatiques m’intéressent-ils autant ? Parce que c’est loin, l’Asie. Lo est assise sagement, le visage tourné vers la Chine. Je voudrais être Mao. Elle me jette un regard, style bande-des-quatre. Je n’ai pas insisté.
[…]

Peel. Je ne vous l’ai pas dit : la clientèle a changé. Ça sent le Dior. Les femmes de 45 ans vont prendre d’assaut les parfumeries des grands magasins. Lo n’a pas bougé. L’Asie est un continent stable. Enfin, était stable.

Guy. Lo a bougé. Le monde tremble. Je ne perds aucun de ses gestes. Gestes en accord avec l’une des plus vieilles aristocraties de la terre. Elle sort un livre. Je me penche légèrement pour pouvoir lire son titre. C’est un bouquin de Mandiargues. La Motocyclette de Mandiargues. Éros dans le train.

Atwater. Elle descend. Je descends. Moment crucial pour l’humanité. Flottement. La foule nous happe. Seconde déchirante. Juste au moment de se perdre, elle se retourne et me fait un vague sourire. Un sourire de l’autre côté des choses. Un sourire de fin du monde. Comme le sourire de la Joconde qui annonçait les temps moderne et la Bombe. Regardez bien Mona et vous sentirez le choc d’Hiroshima. Tout ça n’aura duré que 128 secondes (depuis le moment où Lo est entrée dans le train jusqu’à ce sourire). TOUT DISPARAÎTRA.

Éroshima, p. 113 - 116.

 

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José Leandro Urbina, Collect Call.

Ottawa, Split Quotation 1999.

 

Trajet à travers Montréal

 

L’écrivain chilien José Leandro Urbina, qui s’est enfui avant le coup d’état en 1973, vit au Canada depuis les années 1970. Certes, il n'a publié que deux œuvres majeures jusqu’à ce jour, mais ces deux textes ont été salués par une bonne partie de la critique, surtout dans les pays hispanophones. La première œuvre, une collection de nouvelles appelée Las Malas Juntas (en anglais Lost Causes), traite les incidents politiques dramatiques dans son pays d’origine, le Chili ; la deuxième œuvre, Cobro Revertido (en anglais Collect Call, en français Longues distances), se déroule à Montréal et réfléchit à l’expérience de l’exil.

Dans Collect Call, l’auteur décrit 24 heures de la vie d’un immigrant chilien à Montréal qui, après avoir passé une nuit à picoler, apprend que sa mère est morte au Chili. Bien qu’il ne dispose pas des moyens nécessaires pour payer le billet d’avion, il promet sans hésiter d’assister à l’enterrement. En effet, le protagoniste dont le nom est inconnu (le narrateur l’appelle « le sociologue ») n’a ni une formation professionnelle terminée, ni un poste de travail convenable. Ainsi, il essaie de dénicher ailleurs l’argent dont il a besoin, l’empruntant en fin de compte à son ex-femme Megan. Mais aussitôt que l’affaire est conclue, il dilapide l’argent dans une beuverie avec ses compagnons chiliens. Le roman finit par une scène nocturne absurde dans le Parc Lafontaine : lorsque « le sociologue » vient au secours d’une femme en désarroi, il est gravement blessé par son amant, chilien comme lui-même. La fin reste incertaine.

Le récit est entrecoupé de nombreux flash-back évoquant des souvenirs d'enfance au Chili, le sort de sa mère défunte, l’histoire du mariage échoué avec Megan ou encore l’aventure amoureuse avec la franco-québécoise Marcia. De plus, il y a plusieurs discussions portant sur la politique québécoise et chilienne à l’heure actuelle. Les thèmes prédominants sont de toute évidence l’exil et l’échec tragique de l’individu sans point de repère.

Le texte suivant décrit une scène dans le métro lorsque le protagoniste est en route pour aller chez sa petite amie Marcia. Pendant le trajet, il voit soudainement le chilien Carlitos qui pourrait éventuellement lui procurer un billet d’avion avantageux.

sources:
Hazelton, Hugh: Latinocanadá: a critical study of ten Latin American writers of Canada. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2007.

 

Texte d'introduction et choix de l'extrait: Karin Jugl-Fröwis

 

Extrait de texte

 

He went down to the Berri-de-Montigny station and took the metro for Mont Royal, headed for Marcia and Francine’s house. No sooner had he settled into the seat than he fell asleep. Someone nudged him gently on the shoulder at Henri-Bourassa. He brusquely got out of the coach, like someone waking abruptly from a dream, as unwillingly as someone going outside naked. He ran to catch the train that would take him back to where he wanted to go. When it reached Sauvé, with him still struggling to stay awake, he saw Carlitos on the platform slowly heading for the exit. He slapped his hand on the window hoping to get his attention, but the other man, who was zipping up his jacket, didn’t see him. Carlitos, I need a ticket, I’m going to Chile! he shouted, adding a touch of the absurd to the ridiculous, and the other passengers shushed him, silencing him with their hostile looks. By the time they reached Mont Royal, the coach had filled up and nobody was paying attention to him any more.

Collect Call, p. 139 - 140.

 

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